Octobre 2025
De plus en plus de personnes sont confrontées à des difficultés alimentaires de différentes natures qui creusent les inégalités et révèlent un contexte d’insécurité alimentaire longtemps sous-évalué. Une réalité alarmante sur laquelle Cultures Sucre contribue à attirer l’attention en publiant une synthèse de récents travaux de recherche consacrés à cet enjeu social et sanitaire.
« L’insécurité alimentaire a longtemps été considérée comme un problème des pays à faible revenu mais c’est désormais une réalité bien présente dans les sociétés occidentales, souvent moins visible mais qui ne cesse de gagner du terrain, affirme Chloé Deshayes, responsable Communication et Nutrition de Cultures Sucre. Les enquêtes se succèdent et convergent, hélas, vers ce constat. » Ainsi, en France, une personne sur deux rencontrerait des difficultés alimentaires qui peuvent aller de l’anxiété récurrente face à l’idée de manquer jusqu’aux restrictions et privations pour les populations les plus fragilisées (voir encadré en fin d’article). De plus en plus de foyers doivent faire des choix douloureux entre qualité et quantité, ou encore recourir à l’aide alimentaire. Et le phénomène s’est accentué avec la crise sanitaire du Covid puis avec la poussée inflationniste.
« La lutte contre l’insécurité alimentaire est plus qu’un sujet d’actualité : c’est un enjeu d’intérêt majeur qui impose une approche collective et pluridisciplinaire, poursuit Chloé Deshayes. L’analyse de la situation, la recherche de solutions et les expérimentations doivent associer tous les acteurs. Les chercheurs et experts, mais aussi les professionnels de santé et les associations locales qui ont un rôle important à jouer en accompagnant les populations concernées. » Afin d’apporter sa contribution, Cultures Sucre a réalisé une veille scientifique du sujet sur les cinq dernières années. Une synthèse accessible et solidement documentée de ces connaissances a été diffusée via la lettre Brèves Nutrition* qui lui a consacré son numéro thématique annuel. Nous en présentons ici quelques éléments clés.
Qu’est-ce que l’insécurité (ou précarité) alimentaire ?
Définir l’insécurité alimentaire représente le premier enjeu pour éclairer et orienter les politiques de prévention et d’action. En effet, la notion d’insécurité alimentaire recouvre plusieurs dénominations qui varient selon les pays, les angles d’études et les disciplines impliquées (agronomie, sociologie, nutrition...). Par exemple, en France, on utilise couramment le terme « précarité alimentaire » tandis que la plupart des autres pays ont adopté celui d’« insécurité alimentaire ». Ils renvoient l’un et l’autre à la même notion où le facteur économique et social limite l’accès à une alimentation suffisante, de qualité et socialement acceptable. L’insuffisance alimentaire est une situation qui peut être concrètement évaluée avec des indicateurs quantitatifs et/ou qualitatifs précis et recueillis sur une durée de 12 mois.
L’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) définit l’insécurité alimentaire par opposition à la sécurité alimentaire : « La sécurité alimentaire existe lorsque tous les êtres humains ont, à tout moment, un accès physique et économique à une nourriture suffisante, saine et nutritive leur permettant de satisfaire leurs besoins énergétiques et leurs préférences alimentaires pour mener une vie saine et active ». Toutefois, cette définition ouverte ne propose pas d’indicateurs concrets permettant de créer des outils de mesure et de suivi harmonisés entre les études. « Que faut-il entendre par alimentation "suffisante" ? Faut-il raisonner en quantité ou en calories ? Qu’est-ce qu’une alimentation obtenue par des moyens « acceptables » ? », s’interrogent les chercheurs qui ne renoncent pour autant à se consacrer au sujet.
Comment s’installe l’insécurité alimentaire ?
Des travaux récemment menés à l’international se sont révélés riches d’enseignements. Ils montrent, notamment, que l’insécurité alimentaire n’est pas exclusivement déterminée par des contraintes économiques (faible revenu, instabilité professionnelle, logement précaire) car elle peut être aggravée par des facteurs sociaux et environnementaux (lieu de vie, niveau d’études…). Le manque de temps et la charge mentale sont aussi évoqués : quand les stress du quotidien (horaires atypiques, double emploi, trajets, responsabilités familiales) s’ajoutent aux difficultés financières, l’idée d’alimentation saine passe à l’arrière-plan. Le manque de compétences/connaissances culinaires et/ou nutritionnelles ainsi que le défaut d’équipements pour cuisiner constituent des freins supplémentaires. Tous ces facteurs se cumulent, creusant les inégalités et éloignant les personnes d’une alimentation favorable à la santé, et cela dès la petite enfance.
Autre constat, les profils et catégories de personnes concernées sont extrêmement diversifiés. Les femmes et les jeunes apparaissent comme plus touchés. Parmi les jeunes, les étudiants sont de plus en plus nombreux à être en situation d’insuffisance alimentaire : près d’un sur deux déclare ne pas avoir suffisamment à manger de tous les aliments qu’il souhaiterait. Les familles monoparentales et les personnes vivant seules (surtout les hommes âgés) sont aussi fortement affectés. Dans les foyers les plus précarisés, l’insuffisance alimentaire peut aller jusqu’à la malnutrition dont les conséquences sont encore plus dramatiques pour les enfants. C’est ainsi que le scorbut, maladie liée à une carence en vitamine C que l’on croyait disparue dans les pays occidentaux, a refait son apparition en France où elle connaît une progression alarmante chez les enfants. Près de 900 cas ont été diagnostiqués entre 2015 et 2023, avec une forte augmentation pendant la période de la crise Covid (2020-2023).
Comment agir ? Les chercheurs préconisent des actions ciblées et étroitement adaptées aux réalités locales, prenant en compte les spécificités culturelles, religieuses, sociales. L’éducation alimentaire et sensorielle y joue un rôle central. À travers l’école, mais aussi grâce à des interventions de terrain qui, à l’image du programme Vivons en forme, ont démontré leur efficacité auprès des populations défavorisées. Les dispositifs de proximité favorisant l’accès aux fruits et légumes (marchés de producteurs...) ainsi que les soutiens financiers fléchés vers certains produits alimentaires sont également considérés comme leviers de réduction des inégalités. Enfin, les chercheurs confirment la nécessité de coordonner les actions en impliquant tous les acteurs concernés par la santé et l’alimentation. Autant de signaux qui justifient désormais d’inscrire l’insécurité alimentaire parmi les « Grandes causes nationales ».
Les Français face aux difficultés alimentaires
L’institut CRÉDOC a analysé et croisé plusieurs études qui reflètent les difficultés auxquelles sont confrontées un nombre croissant de personnes.
• Un Français sur deux (51 %) rencontrerait au moins un type de difficulté alimentaire.
• 7 à 9 % sont régulièrement contraints de réduire leur nombre de repas ou leurs portions.
• 9 % sont inquiets à l’idée de manquer d’aliments.
• 12 % n’ont pas assez à manger parfois ou souvent (insuffisance quantitative et qualitative).
• 16 % doivent s’imposer des restrictions budgétaires en matière d’alimentation.
• Les femmes, les jeunes (dont les étudiants), les familles monoparentales et les personnes seules sont les catégories les plus touchées.
• 7 foyers sur 10 ne peuvent cuisiner comme ils le souhaitent en raison d’un manque d’équipement, notamment chez les 18-24 ans.
* Destinée aux professionnels concernés par la nutrition, la newsletter Brèves nutrition propose des résumés scientifiques d'articles récents en matière de nutrition et de comportements alimentaires. Cette publication mensuelle est complétée par un numéro thématique annuel.