Novembre 2022
Pionnier de l’éducation sensorielle, l’Institut du Goût se dédie depuis sa création, en 1999, au « goût » en tant qu’outil de compréhension et d’orientation des comportements alimentaires. Entre recherche universitaire et pédagogie appliquée, il propose des programmes novateurs et porteurs de bénéfices, tant au plan alimentaire que psycho-social. Rencontre avec sa directrice, Nathalie Politzer.
Quelle est la mission de l’Institut du Goût?
L’Institut du Goût participe aux avancées des sciences du goût et à la diffusion des connaissances sur les relations entre le goût et les comportements alimentaires. Sa principale originalité est d’être à l’interface du grand public, du monde de l’éducation et de la recherche scientifique. Le profil des deux fondateurs illustre cette articulation entre pédagogie, physiologie et sciences humaines. Patrick Mac Leod était chercheur en neurobiologie sensorielle, et Jacques Puisais, spécialiste de l’analyse sensorielle et philosophe du goût, avait imaginé les Classes du Goût dès 1974…
Qu’est-ce que l’éducation sensorielle ?
L’éducation sensorielle est une porte d’entrée essentielle vers le « bien manger ». Elle invite à faire un pas de côté par rapport à nos habitudes alimentaires pour mieux prendre conscience de ce que l’on ressent et de ce qui se passe en nous lorsqu’on se nourrit. À la différence de l’éducation alimentaire et de l’éducation nutritionnelle – qui se concentrent sur le contenu de l’assiette, sur la connaissance des aliments et des bonnes pratiques alimentaires –, l’éducation sensorielle met l’accent sur la personne. Elle éveille la curiosité vis-à-vis des aliments, invite à se poser des questions sur ses propres perceptions pour mieux les comprendre et les exprimer. C’est une approche non normative qui repose sur la liberté et oriente les personnes, en premier les enfants, vers une consommation plus éclairée.
Comment met-on en pratique l’éducation sensorielle ?
C’est précisément l’objet des programmes d’éducation au goût, et notamment des Classes du Goût qui se déroulent dans le cadre scolaire. Conçues pour des élèves de huit à onze ans, ces séances explorent les mécanismes sensoriels impliqués dans la dégustation : l’influence de la vue sur les autres perceptions, la palette des saveurs et l’importance de l’odorat, la sensibilité tactile des doigts, etc. À travers les expériences qu’on lui propose, l’enfant apprend à verbaliser ses perceptions et à les utiliser pleinement afin d’élargir son répertoire alimentaire en l’ouvrant à des aliments nouveaux et/ou pas forcément appréciés, par exemple certains fruits et légumes. L’augmentation de la variété et l’intégration d’aliments bénéfiques sont évidemment un levier de l’équilibre alimentaire et de la santé.
Au-delà de l’enfant, est-il nécessaire de sensibiliser l’entourage, en premier lieu la famille ?
En effet, si les études ont montré que les Classes du Goût ont un impact bénéfique sur le comportement alimentaire des enfants, leur effet tend à s’émousser au fil des mois quand les parents n’ont pas d’outils pour relayer l’éducation au goût à la maison. C’est pourquoi, l’Institut du Goût a développé le programme Goûts en Famille, destiné à ancrer l’éducation au goût dans le quotidien. Notamment grâce à des vidéos pédagogiques et des fiches d’activités sensorielles sur lesquelles les parents peuvent s’appuyer pour accompagner leurs enfants dans l’éveil au goût. Goûts en famille a été distingué par le Programme National pour l’Alimentation (PNA) en 2018 et testé la même année sur une région pilote, la Guadeloupe. Les enseignements de ce projet nous ont incité à mettre en place une approche plus globale, qui associe à la fois les Classes du Goût et les outils de Goûts de Famille : les parents sont invités à participer aux séances d’éducation au goût qui ont lieu en classe, et on leur explique à cette occasion comment utiliser les supports d’éducation sensorielle à la maison.
Comment ce dispositif est-il déployé ?
Le déploiement s’effectue à travers le Service sanitaire des étudiants en santé, créé en 2018 par les ministères en charge de la Santé et de la Recherche. Nous avons à ce titre un partenariat avec la Faculté de médecine de Créteil : nous formons à l’éducation sensorielle les étudiants qui souhaitent accomplir leur service sanitaire dans ce domaine et ainsi contribuer à déployer l’éducation au goût sur le terrain. Nous sommes soutenus dans cette démarche par des partenaires privés, à l’image de Cultures Sucre qui, au nom de la filière betterave-sucre, contribue fidèlement à nos actions depuis 2011.
Vous avez récemment mené un expérience inédite auprès d’enfants autistes. Quels en étaient les objectifs ?
Il s’agit d’un projet expérimental et très innovant qui a également été lauréé par le PNA, en 2021. L’idée est d’adapter la pédagogie d’éducation au goût pour des enfants porteurs de troubles autistiques dont les particularités sensorielles, extrêmement marquées, sont souvent accompagnées de troubles alimentaires. Par exemple, l’introduction de nouveaux aliments peut déclencher de fortes réactions de peur ou d’anxiété qui freinent le développement du répertoire alimentaire. Entre janvier et juin 2022, nous avons mené un travail centré sur cette question auprès d’un groupe d’enfants, en collaboration avec nos partenaires de recherche et des spécialistes de l’autisme. Les analyses que nous venons de publier sont très encourageantes. D’une part, le programme d’éducation sensorielle a, en lui-même, été bien vécu par les enfants, ce qui est déjà un point positif. De plus, les parents et les observateurs associés au projet (éducateurs, orthophonistes) ont noté des améliorations concrètes : moins d’appréhension ou de réactions extrêmes devant l’aliment et une relation apaisée à l’alimentation avec, au final, un gain de qualité de vie.
Cette approche ouvre-t-elle des perspectives pour d’autre publics ?
Les troubles sensoriels font partie du diagnostic de l’autisme, mais ils peuvent aussi concerner d’autres personnes avec, là encore, un impact sur les comportements alimentaires. La réussite des ateliers sensoriels adaptés aux enfants porteurs d’autisme montre la pertinence de la démarche, mais ce projet nous a aussi amenés à questionner notre approche de manière plus générale. Il va par exemple nous permettre d’affiner les dispositifs d’éducation au goût pour les enfants neurotypiques (c’est-à-dire sans pathologie spécifique) mais très sélectifs au niveau alimentaire. Et, au-delà, pour l’ensemble de la population avec l’objectif de toujours mieux contribuer, dès l’enfance, à l’élargissement du répertoire alimentaire par l’éducation au goût.