Juillet 2025
Sain, traditionnel, naturel, doux, appétissant, écœurant, énergisant, réconfortant, nourrissant : quelle est la représentation sociale du goût sucré en France ? Quelles caractéristiques sont associées à la notion de goût sucré ? Quels attributs sont “universels” ou propres à chaque individu ?
C’est l’objet d’un nouvel observatoire français - L’Observatoire des Comportements et Goûts Sucrés [1] et d'une étude quantitative menée par l'institut C-ways (Pascale Hebel) sur un échantillon représentatif de la population française (N= 1 500 adultes), menée entre le 27 novembre et le 1er décembre 2023. Il était demandé aux participants d’attribuer, pour chacune des 9 photos d’aliments considérés comme ayant un goût sucré qui leur étaient présentées, 10 notes (sur une échelle de 0 à 100) estimant successivement :
- l’intensité attendue du goût sucré [2]
- 6 critères qualitatifs (« sain », « traditionnel », « naturel », « doux », « appétissant », « écœurant ») et 3 aspects fonctionnels (« énergisant », « réconfortant », « nourrissant ») [3].
Les neuf aliments présentés étaient représentatifs de la variété des aliments au goût sucré, incluant même un aliment sucré-salé (le ketchup) et un plat glucidique plutôt salé - la purée de pomme de terre (voir photos).
Une intensité sucrée forte attendue pour le miel, le sucre et le gâteau au chocolat
En moyenne, les participants ont attribué des scores élevés d’intensité attendue du goût sucré pour le miel (notre de 79/100 en moyenne), le sucre (78), et le gâteau au chocolat (75), suivis par la fraise (62), la banane (58) et le ketchup (51). Les scores pour les sucrettes, le lait et la purée étaient relativement modérés (inférieurs à 50 sur 100) avec des dispersions importantes par rapport à leurs moyennes respectives.
Il peut paraître surprenant que l’intensité attendue du goût sucré attribuée aux édulcorants de synthèse (sucrettes) soit modérée, alors que leur pouvoir sucrant s’avère bien plus élevé que celui du sucre, à dose équivalente. Faut-il y voir une moindre familiarité (qui expliquerait aussi la forte dispersion) ? Et/ou un biais d’ancrage liant « sucré » à sucre, ingrédient absent de la composition des édulcorants de synthèse ?
Des représentations spécifiques à chaque aliment
Autre enseignement de l’enquête : la représentation du goût sucré agrège diverses dimensions qualitatives (sain, naturel, doux…) ou fonctionnelles (énergisant, nourrissant…) d’une manière spécifique à chaque aliment (Figure). Par exemple :
1. l’intensité du goût sucré du miel est associée avec sain, naturel et énergisant ;
2. celle du gâteau au chocolat avec appétissant, doux, et réconfortant ;
3. celle de la banane avec énergisant, doux, sain et nourrissant ;
4. celle du sucre avec énergisant, doux et réconfortant.
Les chercheurs parlent de structures cognitives associées au goût sucré.
Les représentations du goût sucré de la banane (sain, nourrissant, énergisant, doux), du gâteau au chocolat (doux, appétissant, réconfortant), du miel (naturel, énergisant, sain) et du sucre (doux, énergisant, réconfortant) sont spécifiques à chaque aliment.
Ainsi, contrairement à l’hypothèse émise au début de l’étude, les dimensions les plus fortement associées au goût sucré attendu des 9 aliments n’ont pas formé une structure cognitive unique mais se sont regroupées dans des structures propres à chaque aliment. Les caractéristiques associées à l’intensité des goûts sucrés semblent donc conditionnées par les aliments : les participants ont une perception différente du caractère « doux » dans la banane et dans le gâteau au chocolat.
Quatre typologies de consommateurs
Enfin, la perception du goût sucré variait en fonction de données socio-démographiques et de certaines habitudes alimentaires. Aussi, les auteurs ont défini les déterminants de l’adhésion à ces représentations alimentaires. Quatre typologies ont ainsi été identifiées :
1. « Les Diversifiés » (34 %) : cette typologie est essentiellement caractérisée par une surreprésentation des femmes et de personnes vivant en couple avec enfants, une forte adhésion aux quatre structures cognitives mentionnées précédemment et des moments de consommations sucrés plus fréquents (desserts, petit-déjeuner, pâtisseries) et plus diversifiés (banane, gâteau, sucre...) que la moyenne, suggérant un recours au goût sucré à la fois polysémique et structurant.
2. « Les Equilibrés » (30 %) : hommes aisés et diplômés, avec une forte adhésion à la structure cognitive du miel et à la représentation « hédoniste » du gâteau, reflétant un rapport ambivalent (ou plus équilibré) au goût sucré. Ils affichent une préférence pour les saveurs sucrées mais une consommation plus modérée.
3. « Les Nutritionnels » (13 %) : plutôt des hommes âgés de 65 ans et plus, aisés, en couple sans enfants, avec une forte adhésion à la structure cognitive du miel (goût sucré « sain »), en cohérence avec leurs habitudes alimentaires (moins de desserts, de pâtisseries et de fast-food que la moyenne, et une préférence pour le salé).
4. « Les Détachés » (23 %) : jeunes adultes et ouvriers/inactifs, considérés comme grands consommateurs de produits sucrés qui adhèrent faiblement aux représentations sociales de ce goût et présentent moins d’habitudes alimentaires culturellement associées au goût sucré (petits déjeuners et desserts régulièrement sautés, pas de pratique de la pâtisserie) que la moyenne. Ces résultats suggèrent un recours au goût sucré sans signification particulière chez ces participants… à moins qu’il ne se soient pas reconnus dans les aliments présentés dans l’étude, trop éloignés de leurs habitudes alimentaires (snacking, bonbons, céréales, biscuits…) ?
À noter, l’adhésion aux représentations ne dépend ni du statut pondéral des individus, ni de leur lieu de vie (région, urbanisation...), ni du régime alimentaire suivi (restriction alimentaire, régime pour prise de poids, végétarisme ou véganisme).
[1] L’Observatoire des comportements et goûts a été créé en 2022, à l’initiative de Cultures Sucre, dans le but de mieux comprendre le rôle du goût sucré dans les comportements alimentaires et l’attitude des consommateurs face à la diversité et à la complexité de ces goûts sucrés – en s’appuyant sur une méthodologie inédite associant des compétences pluridisciplinaires (psychologie, sociologie, nutrition, éducation au goût...). Il est piloté par 2 experts indépendants : Laurent Aron, sémiologue, enseignant en Sciences du goût et chercheur associé à l’Université Paris-Cité, et Aymery Constant, docteur en Psychologie de la santé et maître de conférences à l’École des Hautes Études de Santé Publique de Rennes.
[2] « Sur une note de 1 à 100, quelle est pour vous l’intensité du goût sucré ? 0 pas du tout sucré, 1000 très sucré. »
[3] « Comment situez-vous ce produit sur les qualificatifs suivants sur une note de 1 à 100 ? 0 pas du tout, 100 très important.» (échelle visuelle analogique, 0 à 100 mm)