Décembre 2023
Certes, les pratiques mises en place par les parents autour de l’alimentation de leur enfant façonnent le comportement alimentaire de celui-ci. Mais les pratiques parentales se développent elles-mêmes en réponse à des traits propres à l’enfant en matière d’alimentation… Pour mieux comprendre ces influences réciproques, des chercheurs ont utilisé les données de 1 000 familles anglo-saxonnes suivies pendant 4 ans au cours des premières années d’enfants jumeaux (cohorte Gemini, données 2007).
Caractériser les pratiques parentales et les comportements des enfants
Huit pratiques parentales et six comportements infantiles étaient mesurés aux 15 mois puis aux 5 ans des enfants, à partir des réponses des parents à différents questionnaires psychométriques validés. Étaient ainsi mesurées,
chez les parents :
- l’instrumentalisation de la nourriture (ex : ‘J’utilise le dessert comme moyen de persuasion pour inciter mon enfant à manger son plat’)
- l’alimentation émotionnelle/réconfortante (ex : ‘Je donne des aliments à mon enfant pour le réconforter quand il se sent triste/contrarié’)
- la pression mise pour manger (ex : ‘Mon enfant doit toujours terminer son assiette’)
- la restriction tacite (ex : ‘J’évite d'acheter des aliments peu sains et d’en rapporter à la maison’)
- le degré de contrôle (ex : ‘Je décide quand mon enfant mange et ce qu’il mange’)
- les encouragements à manger de manière équilibrée (ex : ‘J’encourage mon enfant à manger une grande variété d’aliments’)
- le degré de surveillance (ex : ‘Je surveille les aliments gras que mon enfant consomme’)
- l’exemplarité (ex : ‘Je donne à mon enfant l'exemple d'une alimentation saine en mangeant moi-même des aliments sains’).
et chez les enfants :
- l’attirance pour les aliments (ex : ‘S'il avait le choix, mon enfant mangerait la plupart du temps’).
- le plaisir à manger (ex : ‘Mon enfant adore manger’)
- la suralimentation émotionnelle (ex : ‘Mon enfant mange plus quand il est stressé/quand il se sent mal’)
- la sensibilité à la satiété (ex : ‘Mon enfant est facilement rassasié’)
- la lenteur à manger (ex : ‘Mon enfant mange lentement’)
- la sélectivité alimentaire/la tendance à rejeter certains aliments (ex : ‘Mon enfant refuse de goûter les nouveaux aliments au début’).
Analyser les dynamiques directionnelles
Utilisant une technique de modélisation1 dédiée à l’étude des dynamiques de changement, les chercheurs ont ensuite analysé si les changements qui s’opéraient dans certains traits alimentaires des enfants au cours des 4 ans de suivi, étaient corrélés à certaines pratiques parentales déclarées au début de l’étude, et vice versa (i.e. si l’évolution de certaines pratiques parentales étaient liée aux traits alimentaires des enfants). Ces analyses faisaient ressortir trois types de relations : des relations bidirectionnelles, ou réciproques, parents <-> enfants ; des relations unidirectionnelles parents -> enfants ; et des relations unidirectionnelles enfants ->parents.
Des relations parfois réciproques…
Deux grandes relations bidirectionnelles, dans lesquelles les pratiques des parents et les traits des enfants semblaient s’influencer mutuellement, étaient mises en évidence :
- Le fait pour les parents d’utiliser la nourriture pour obtenir un comportement souhaité de la part de leur enfant (instrumentalisation) était associé à la suralimentation émotionnelle chez l’enfant de façon bidirectionnelle : autrement dit, les parents qui avaient recours à l’instrumentalisation dès le plus jeune âge de l’enfant voyaient la suralimentation émotionnelle augmenter chez celui-ci. La réciproque s’avérait vraie : le recours à cette pratique se développait naturellement au fil des ans chez les parents d’enfants initialement sujets à cette tendance.
- Les encouragements parentaux à manger de manière saine allaient de pair avec le plaisir à manger chez l’enfant. Ainsi, la tendance des parents à encourager des choix alimentaires vertueux prédisaient une augmentation du plaisir à manger chez les enfants, et vice versa (les parents qui sentent leur enfant réceptif au plaisir de manger pourraient être plus enclins à l’encourager à bien manger).
… parfois à sens unique
Des relations à sens unique induites par les pratiques parentales étaient par ailleurs suggérées : en particulier, le fait de réconforter son enfant via la nourriture (alimentation émotionnelle/réconfortante) prédisait une tendance à manger sous le coup des émotions et une plus grande attirance/réactivité aux aliments plus tard chez l’enfant. Soit deux réponses alimentaires déconnectées des signaux de faim. Le fait de faire pression sur son enfant pour qu’il mange prédisait par ailleurs une plus grande tendance à la suralimentation émotionnelle.
A l’inverse, certains traits infantiles semblaient favoriser l’installation de certaines pratiques parentales (sans que la réciproque ne soit vraie) : les enfants naturellement plus attirés par les aliments voyaient leurs parents développer des stratégies comme l’instrumentalisation de la nourriture et la pression à manger.
Malgré ses limites (étude d’observation, associations de faible amplitude, données datant de 2007, non représentatives de l’ensemble de la population), cette étude est la première à examiner la direction des associations précoces entre pratiques parentales et traits alimentaires des enfants. Ses résultats pourraient aider à développer des programmes aidant les parents à développer des pratiques vertueuses pour l’alimentation de leur enfant.