20 mai 2021
Le bioéthanol, un atout pour la transition énergétique
Porté par le succès du SP95-E10 et du E85, le bioéthanol s’est imposé comme un levier essentiel de la transition écologique dans les transports. Moins cher et plus vert, ce biocarburant produit en France à partir de la betterave sucrière ou de céréales offre une alternative compétitive et durable aux essences conventionnelles. Découvrez la saga d’une ressource stratégique.
Un biocarburant présent dans toutes les essences
Dans un contexte marqué par l’urgence climatique, l’instabilité du marché pétrolier et la sensibilité exacerbée des consommateurs au prix des carburants, le bioéthanol a pris sa place dans le bouquet énergétique de la France. Acteur de la transition écologique dans le secteur des transports, il est présent dans toutes les essences, où il est incorporé en différentes proportions : jusqu’à 7,95 % dans les essences standard (SP95, SP98), jusqu’à 10 % dans le SP95-E10 et jusqu’à 85 % dans le Superéthanol-E85.
Porté par le succès du SP95-E10, devenu la première essence du marché, et par l’engouement pour les boitiers de conversion E85 (parfois appelés « kits E85 ») qui permettent de rouler indifféremment à l’essence conventionnelle et au Superéthanol-E85, le bioéthanol est aujourd’hui au centre de toutes les attentions. Pourtant, il lui aura fallu plusieurs années pour se faire connaître et reconnaître.
Une filière agricole et industrielle leader en Europe
Bien que l’éthanol ait été incorporé en faible quantité dans l’essence sans plomb depuis le début des années 2000, l’histoire commence véritablement en avril 2009, lorsque le SP95-E10 a été lancé en France. Cette décision résulte des engagements de l’État français dans le cadre de la directive « Énergies renouvelables » destinée à abaisser les émissions de CO2 au sein de l’Union européenne : le bioéthanol devenait officiellement un des leviers dédiés aux objectifs d’incorporation de biocarburants dans les transports.(1) Pour relever ce défi, la France dispose d’une filière bioéthanol robuste et structurée, fondée sur une position historique de premier fabricant européen d’alcool agricole.
En effet, avec environ 25 % des volumes produits chaque année au sein de l’Union européenne, notre pays se positionne loin devant l’Allemagne (16 %) et le Royaume-Uni et l'Espagne (8 %).(2) Sur les 17,9 millions d’hectolitres (Mhl) d’alcool produits par les quinze distilleries du territoire métropolitain en 2019, les deux tiers (10,5 Mhl) sont utilisés comme bioéthanol destiné à la carburation automobile. Produits à partir de betteraves et de céréales cultivées en France ainsi que de résidus sucriers et amidonniers, ces volumes dépassent les besoins du marché intérieur.
Un milliard d’euros d’investissements industriels
Comme le rappelle Jérôme Bignon, président du Syndicat national des producteurs d’alcool agricole (SNPAA), « le bioéthanol français puise sa force dans une vision stratégique partagée par l’ensemble de ses acteurs. De longue date, ils ont su tirer parti des avancées agricoles et investir dans le développement de l’outil de production. » Côté ressources, un hectare de betteraves sucrières cultivées en France produit aujourd’hui 9 000 litres d’éthanol – soit 4,6 tonnes équivalent pétrole (teq) – contre 5 000 à 8 000 litres en conditions optimales pour 1 ha de canne à sucre.(3)
Côté transformation, plus d’un milliard d’euros ont été consacrés entre 2005 et 2010 à l’augmentation des capacités de production ainsi qu’à l’amélioration du bilan carbone des distilleries. Cinq sites de dernière génération ont ainsi vu le jour, représentant une capacité supplémentaire de 13Mhl/an. Implantées au cœur des zones de production agricoles, ces distilleries travaillent en synergie avec les sucreries et amidonneries auxquelles elles sont souvent associées, formant des ensembles industriels solidement ancrés dans les territoires.
SP95-E10 : la success story
La pénétration du bioéthanol sur le marché des essences a été progressive. Dans un premier temps, il aura fallu répondre aux interrogations des automobilistes et stimuler la mise en place du réseau de distribution en stations-services. Le bioéthanol a dû également affronter les controverses portant sur les critères de durabilité (voir encadré plus bas). Là encore, les acteurs de la filière se sont mobilisés et se sont associés aux différentes parties prenantes du secteur automobile pour lever un à un les obstacles, gagner l’opinion et convaincre les utilisateurs.
Le SP95-E10 a ainsi fait l’objet d’une dynamique exemplaire. La Direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) – a dressé une liste exhaustive et régulièrement actualisée des véhicules compatibles au SP95-E10. De plus, le déploiement de l’E10 a bénéficié d’une avancée décisive avec la signature, en octobre 2016, d’une « Charte pour une bonne information sur le SP95-E10 ». Cet acte d’engagement qui compte trente signataires implique aussi bien les Pouvoirs publics que les agriculteurs, industriels, distributeurs de carburants, constructeurs et professionnels de l’automobile, ainsi que l’association 40 Millions d’automobilistes…
Grâce à ces efforts et au retour en grâce des véhicules essence (4), la part de marché du SP95-E10 a accéléré sa progression pour virer en tête du marché des essences dès l’automne 2017. Fort d’un prix de vente inférieur de 8 centimes d’euros par rapport au SP98, de 4 centimes par rapport au SP95 et proche du gazole, le SP95-E10 est l'essence la plus consommée avec 48,5% de la part de marché. 6 511 stations-service d’enseignes pétrolières et de la grande distribution sont équipées de pompes SP95-E10, soit plus d’une station sur deux, et ce réseau se densifie chaque jour. Enfin, 98 % des voitures essence en circulation sont compatibles.
Superéthanol-E85 : les feux passent au vert
Lancé en 2006, le Superéthanol-E85 a mis plus de temps à s’imposer. Son utilisation étant réservée aux véhicules Flexfuel d’origine (5) et aux véhicules essence munis d’un boîtier E85, son déploiement a été freiné dans un premier temps par un manque de stations E85 et de véhicules flexfuel. « Le marché n’était pas prêt à accueillir cette évolution, explique le président de Ford France, Louis-Carl Vignon.(6) Nous avons commercialisé en 2006 une première gamme flexfuel qui n’a pas fonctionné car les conditions n’étaient pas réunies. Or aujourd’hui, tous les éléments convergent et l’engouement est vraiment au rendez-vous ! »
Deux événements ont cumulé leurs effets pour inverser la tendance : l’arrivée sur le marché, en 2018, des boîtiers E85 homologués ; l’envolée des prix des carburants conjuguée aux inquiétudes grandissantes des citoyens sur le pouvoir d’achat. Le journaliste Jean-Luc Moreau, animateur de l’émission Votre auto : le week-end des experts sur RMC, le confirme : « il y a un véritable intérêt, et nous le vérifions chaque dimanche matin. Sur les 300 questions qui arrivent au standard, la moitié concernent le bioéthanol. Les Français ont compris que nous assistons à la fin du diesel. Les consommateurs recherchent une vraie alternative, immédiatement disponible et économiquement intéressante. Certes l’argument écologique est un plus, mais c’est bel et bien l’axe économique qui est déterminant pour le consommateur. »
L’intérêt économique du E85 fait l’unanimité
« Au plan économique, le boîtier E85 homologué est une réussite absolue », s’enthousiasme également Pierre Chasseray, délégué général de l’association 40 Millions d’automobilistes. Il est vrai qu’avec un prix moyen de 0,68 €/litre (contre 1,50 €/l pour le SP95-E10 et 1,43 €/l pour le gazole) (7), le Superéthanol-E85 est le carburant le moins cher du marché. Dans certaines conditions, il permet de réaliser une économie de 500 € tous les 13 000 km parcourus.(8) Reste que pour s’imposer, les boîtiers E85 ont dû rassurer les candidats à la conversion.
Cela a été possible grâce à leur homologation par l’État, puis les médias et associations de consommateurs ont pleinement joué leur rôle. « Convaincus de l’intérêt du bioéthanol, nous avons abondamment relayé les réponses aux interrogations fondamentales des automobilistes, confirme Pierre Chasseray. Est-ce que mon moteur va résister ? Est-ce que je vais conserver ma garantie constructeur ? Est-ce que je ne vais pas avoir une panne tous les cent kilomètres ? Le prix à la pompe va-t-il rester intéressant sur plusieurs années ? Il a fallu informer et rassurer les gens pour les convaincre. »
Encouragé par le succès des boitiers de conversion E85 et par la montée en puissance du réseau de distribution, Ford a réalisé une enquête auprès de ses clients en France. « Nous avons constaté que 90 % d’entre eux connaissent le Superéthanol E85 au moins de nom et qu’ils sont 40 % en connaître très bien les avantages, détaille Louis-Carl Vignon. De plus, 70 % des interrogés se sont déclarés prêts à acheter un modèle flexfuel. » Un état des lieux pour le moins décisif : en février 2019, le constructeur annonçait le lancement d’une version « Flexifuel » d’un de ses modèle phares, le Ford Kuga, qui a enregistré plus de 2 000 commandes en quatre mois.
Un atout économique et stratégique
Tandis que les consommateurs veillent sur leur pouvoir d’achat, les pouvoirs publics concentrent leur attention sur la baisse des émissions de CO2, de même que les constructeurs qui sont désormais placés sous la menace d’amendes pénalisantes s’ils n’atteignent pas leurs objectifs dans ce domaine.
Face aux coûts et aux contraintes techniques du tout électrique et de l’hybridation, le bioéthanol a enfin été reconnu comme une solution efficace et à portée de main. En effet, il est établi que le bioéthanol produit en Europe permet de diminuer de 72 % les émissions de gaz à effet de serre par rapport aux énergies fossiles.(9)
« L’utilisation du bioéthanol produit en France en substitution de l’essence revient à économiser 1 million de tonnes de CO2 par an, soit l’équivalent de 500 000 véhicules circulant sans émettre de CO2 », précise Sylvain Demoures, secrétaire général du SNPAA et membre de la Collective du bioéthanol.
C’est sur cette base que l’État français a décidé d’assortir l’aide à la conversion écologique d’une disposition favorable aux véhicules Flexfuel. Un abattement de 40 % sur le calcul de leurs émissions de CO2 est désormais pris en compte dans l’accès à la prime à la conversion, qui a pris le relai de la « prime à la casse ». Plusieurs collectivités territoriales (Grand Est, PACA, Hauts-de-France) ont de leur côté mis en place des aides financières de 250 à 300 euros pour ceux qui souhaitent équiper leur véhicule essence d’un boîtier homologué E85.
Les pouvoirs publics soutiennent le bioéthanol
Bon pour l’économie et la croissance, le bioéthanol est désormais reconnu comme une opportunité pour le pays. « La filière génère 9 000 emplois, précise Nicolas Rialland, responsable Bioénergie au sein de la Confédération générale des planteurs de betteraves (CGB). En outre, il contribue à réduire la dépendance aux énergies fossiles : plus la France consomme de bioéthanol produit en France à partir de biomasse française, moins elle a besoin d’importer du pétrole ! » Actuellement, l’utilisation du bioéthanol dans les essences permet d’économiser 400 000 tonnes de pétrole par an, soit l’équivalent d’un apport à la balance commerciale de 400 millions d’euros par an.
Le soutien du gouvernement au bioéthanol a été clairement affirmé par le ministre de la Transition écologique et solidaire, en avril 2019 : « Le bioéthanol est une source importante d’énergie en France et un levier pour la transition écologique. Sa progression est appréciable, aussi bien pour notre sécurité d’approvisionnement énergétique qu’en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre. C’est aussi le développement d’une activité d’avenir qui contribue à l’économie française et qui respecte les critères environnementaux sur l’ensemble du cycle de production. »(10)
« La capacité du bioéthanol à contribuer à la transition énergétique est aujourd’hui pleinement établie, et tous les signaux sont au vert pour faire progresser ce biocarburant, conclut Jérôme Bignon. La reconnaissance de l’efficience économique et environnementale du bioéthanol et la forte croissance de la demande portent une tendance de fond qui donne de la visibilité à notre filière. Notre capacité à adapter la production en jouant sur nos deux débouchés fondamentaux – le sucre et l'amidon d'une part, l’éthanol d'autre part – est également une force pour maintenir une filière performante et capable de répondre à la demande de bioéthanol, dès aujourd’hui et pour les années à venir. »
Bon pour le climat, bon pour la qualité de l’air
Le bioéthanol est une énergie renouvelable : il est issu de la fermentation des sucres contenus dans la betterave sucrière, les céréales et la canne à sucre. À terme, il pourra aussi être produit à partir d’autres composés végétaux : déchets forestiers, pailles, tiges de maïs… Le bioéthanol produit en France n’a pas d’impact sur les ressources alimentaires ni sur la forêt. Les surfaces agricoles dédiées à sa production représentent 1 % des surfaces cultivées (300 000 ha), et sa fabrication génère des coproduits qui entrent dans l’alimentation animale : pulpes de betterave, drêches de céréales. Sur l’ensemble de son cycle de vie – « du champ à la roue » – le bioéthanol produit en Europe permet de réduire de 71 % les émissions de CO2 par rapport aux énergies fossiles. Le Superéthanol-E85 permet de réduire de plus de 90 % les émissions de particules fines et de plus de 30 % les émissions d’oxydes d’azote par rapport à l’essence.(11)