Mai 2025
La distribution de bons permettant l’achat de produits végétaux tels que les fruits et légumes fait partie des pistes envisagées pour
faciliter l’accès des populations défavorisées à une alimentation plus saine et durable. Mais dans les faits, comment ce type d’approche est-il perçu par les bénéficiaires ? Et quels sont
les effets d’une telle intervention sur les arbitrages qui guident les comportements d’achats ?
Des chercheurs français ont exploré ces questions à partir d’un essai organisé dans l’agglomération de Dijon en 2022-2023, dans lequel 132 personnes
en situation de précarité / de faibles revenus [1] recevaient toutes les deux semaines pendant 3 mois, des
coupons leur permettant d’acheter des fruits, légumes, mais aussi des légumineuses dans la plupart des supermarchés alentours, dans des quantités permettant de satisfaire
les recommandations du PNNS (5 fruits et légumes par jour et des légumineuses 2 fois par semaine). Des livrets présentant des recettes à base de légumes et légumineuses étaient également remis aux participants.
Trois mois après l’intervention, une série d’entretiens a été menée auprès d’un sous-échantillon de 27 sujets, afin
d’évaluer l’acceptabilité de l’intervention ainsi que son effet sur les critères intervenant dans les décisions d’achats. Une analyse qualitative des verbatims a été réalisée.
Plus de libertés dans un budget contraint
Elle a permis de dégager plusieurs tendances :
En termes d’acceptabilité :
-
La distribution de bons d’achats était globalement bien acceptée par les participants, la plupart d’entre eux exprimant satisfaction et gratitude. Les sujets appréciaient que les coupons puissent être utilisés dans la plupart des magasins alentours, dont certains magasins spécialisés dans les produits frais, sans restriction sur les horaires d’accès ou les types de produits disponibles (contrairement à d’autres types d’aide alimentaire). Les chercheurs y voient un allègement de la charge mentale associée au fait de faire ses courses alimentaires avec un budget (très) limité.
- Toutefois, quelques participants pouvaient rapporter des expériences négatives, comme le fait de se sentir gênés devant les vendeurs de payer avec ce type de bons, ou stigmatisés les quelques fois où les coupons se trouvaient refusés en caisse. Ainsi, la distribution de coupons peut parfois venir toucher à la dignité des bénéficiaires, mais c’est sans doute moins le cas que d’autres formes d’aide alimentaire (banques alimentaires), où l’autonomie et la liberté de choix des personnes est en outre compromise.
En termes de modification des comportements d’achats :
- Pour un premier groupe représentant environ deux tiers des sujets (mères vivant avec leurs enfants, participants percevant un décalage entre leurs habitudes alimentaires et leurs aspirations), les coupons reçus étaient l’occasion de se laisser davantage guider par les attentes gustatives (produits plus frais et qualitatifs), mais aussi de rompre avec une certaine monotonie via l’achat de produits d’habitude trop chers, ou de nouveaux produits peu familiers. Les chercheurs notent ainsi une repriorisation des motifs d’achats, avec une plus grande place accordée au plaisir et à la santé et un recul de l’importance donnée au prix.
-
La familiarité et le prix restaient toutefois des motifs d’achats prioritaires pour une autre partie des sujets qui maintenaient leurs habitudes d’achats de fruits et légumes. Les économies réalisées grâce aux bons pouvaient être réinvesties dans d’autres produits comme de la viande ou du poisson, ou être utilisées pour profiter de promotions sur les prix et acheter en plus grandes quantités, par exemple pour stocker des denrées.
Dans un contexte d’augmentation globale des prix alimentaires, les chercheurs considèrent que la distribution de bons pour l’achat de produits végétaux sains et durables pourrait
faciliter l'exposition à une plus grande diversité d'aliments d'origine végétale, et favoriser ainsi l'acceptabilité des régimes alimentaires durables. Toutefois, ce type d’incitation ne peut être suffisant et doit être combiné à des mesures complémentaires (éducation, restructuration de l’environnement alimentaire…).
[1] Recrutés dans des épiceries sociales et solidaires et dans les services sociaux communaux