Juin 2024
Mais d’où vient cette idée selon laquelle les aliments moins bons pour la santé sont plus savoureux ? Des chercheurs en psychologie de l’Université de Vienne en Autriche publient dans Appetite les résultats de deux études ayant éprouvé cette croyance, pourtant non avérée dans les faits[1]. Leur conclusion ? Cela pourrait venir de la surreprésentation des aliments peu sains dans le paysage alimentaire. Explications.
Comment se forgent les croyances ?
Précédemment, deux pistes avaient été avancées pour expliquer la croyance selon laquelle les aliments peu sains sont meilleurs pour nos papilles (en anglais, unhealthy = tasty belief, ou UH=T) : 1/ des croyances culturelles (par exemple celles héritées de l’éthique religieuse, qui sépare ce qui est bon pour nous de ce qui est plaisant/appréciable ; 2/ le marketing alimentaire qui promeut essentiellement des aliments peu sains.
Les chercheurs ont ici exploré une nouvelle hypothèse : la croyance UnHealthy=Tasty pourrait se former sous l’effet des fréquences conjointement élevées des aliments savoureux d’une part, et des aliments de faible qualité nutritionnelle d’autre part, dans l’offre alimentaire (hypothèse dite d’inférence de pseudo-contingence). Pour bien faire comprendre ce concept, les chercheurs prennent l’exemple de la carte d’un restaurant : si celle-ci propose beaucoup de plats à la fois savoureux et considérés comme peu sains sur le plan nutritionnel, un consommateur fréquentant souvent ce restaurant pourrait former l’association UH=T dans son esprit. Autrement dit, le cerveau aurait tendance à associer deux éléments tous deux rencontrés fréquemment dans l’environnement. Pourtant, dans la réalité, des variables présentant des fréquences conjointement élevées peuvent ne pas être liées. Et si ce rouage psychologique est utile dans certains cas, il peut parfois donner lieu à des croyances erronées (ex : stéréotypes non avérés…).
Le ratio aliments peu sains/aliments sains en cause
Pour tester cette hypothèse, deux échantillons indépendants de sujets (n= 342 sujets au total) ont été exposés à des images de repas (supposément servis dans un nouveau restaurant qui vient d’ouvrir, ou disponibles dans une nouvelle application de commandes en ligne), dans deux études successives (l’une menée en laboratoire de recherche, l’autre en ligne). Dans les deux cas, pour chaque image de repas, des logos indiquaient à quel point le repas était sain (ex : Nutri-Score A à E) et à quel point il était savoureux (1à 5 étoiles) (voir Figure).
Exemple d’image de repas avec les notations relatives au caractère +/- sain et savoureux. Pour des raisons de droits d'auteur, est ici utilisée une icône alimentaire ; cependant, des images de vrais repas étaient en réalité utilisés pour l’étude.
Dans chaque étude, les chercheurs faisaient varier la fréquence des aliments sains/peu sains et savoureux/peu savoureux : ainsi, certains sujets voyaient davantage de repas peu sains et savoureux (condition 1) tandis que d’autres étaient exposés à davantage d’images de repas à la fois sains et savoureux (condition 2). Pour mesurer la croyance UH=T, il était ensuite demandé aux sujets de noter leur perception de la qualité nutritionnelle des aliments savoureux, sur une échelle allant de 0 à 100 (0 = aliments de faible qualité nutritionnelle ; 100 = aliments de bonne qualité nutritionnelle)
Dans les deux études, les sujets formaient une croyance UH=T plus forte quand ils étaient exposés à davantage de repas peu sains et savoureux (condition 1)[2], par rapport à ceux exposés à davantage de repas sains et savoureux (condition 2), et alors même que les aliments peu sains et sains étaient notés comme aussi savoureux. Ainsi, les consommateurs semblent déduire (à tort) que les aliments les moins sains sont les plus savoureux quand ces aliments sont plus nombreux.
Faire évoluer l’environnement alimentaire
Certes, ces résultats expérimentaux, obtenus sur du très court terme – on peut d’ailleurs s’interroger sur la capacité d’un protocole si court à faire évoluer des croyances ancrées, formées sous l’action pérenne de facteurs culturels et environnementaux ambiants - mériteraient confirmation dans des contextes réels de consommation. Toutefois, ils suggèrent que le paysage alimentaire peut façonner les croyances des consommateurs. D’où l’intérêt de politiques publiques qui cibleraient cet environnement alimentaire, en favorisant une proportion plus importante d’aliments sains par rapport aux aliments moins sains (les deux pouvant être savoureux !).
[1] Dans des études où l’on demande à des sujets de noter des aliments sur ces deux aspects, un même aliment peut être noté à la fois sain et savoureux
[2] À noter : dans la première étude, lorsque les chercheurs utilisaient une autre méthode pour mesurer la croyance UH=T, ces résultats n’étaient plus observés ; les chercheurs ont jugé cette méthode peut-être trop complexe et ne l’ont donc pas remise en œuvre dans la seconde étude.