Février 2022
Ils sont 23 500 agriculteurs à cultiver la betterave sucrière en France. On les appelle familièrement les « planteurs ». Une expression propre à la filière betterave-sucre-éthanol qui témoigne des singularités d’une activité agricole et d’un métier pas tout à fait comme les autres. Découverte.
Chiffres à l’appui, la betterave sucrière est incontestablement un fleuron de l’agriculture et de l’agro-industrie française. Les quelque 38 millions de tonnes récoltées en moyenne chaque année permettent de produire 5 millions de tonnes (Mt) de sucre et 10 millions d’hectolitres (Mhl) d’alcool agricole qui sera valorisé sous forme de biocarburant (bioéthanol), de gels hydroalcooliques et dans de multiples applications alimentaires et non alimentaires... Des ressources auxquelles s’ajoute 2 Mt de pulpes de betteraves destinées à l’alimentation animale. (Données moyennes sur cinq ans, source CGB)
Ces débouchés placent la France au premier rang européen de la production de sucre et de bioéthanol. Ils apportent également une contribution significative à la balance commerciale du pays avec un solde positif de l’ordre de 690 millions d’euros en 2020. (source : Cultures Sucre, Mémo Statistique 2021)
Une plante généreuse mais exigeante
Pour assurer cette production, la filière betterave-sucre-éthanol s’appuie sur 23 500 agriculteurs qui se consacrent à la betterave sucrière. L’appellation de « planteur » a la vertu de mettre l’accent sur la dimension extrêmement technique de cette culture végétale.
Ainsi que l’explique Mickaël Jacquemin, agriculteur dans la Marne, « le terme générique est bien sûr "betteravier", mais la notion de "planteur" est plus parlante car, d’une certaine manière, notre métier s’apparente plus aux activités de jardinage ou de maraîchage qu’aux autres grandes cultures comme les céréales et protéagineux. La conduite des cultures betteravières requiert une précision quasi chirurgicale et une vigilance de tous les instants, depuis les semis jusqu’à la récolte. »
Une culture emblématique de l’agriculture de précision
Le savoir-faire du planteur de betteraves s’exprime ainsi dès l’implantation des semences : graine par graine, sur une parcelle parfaitement propre et saine, en veillant à ce que chaque pied puisse s’épanouir. « Une graine tous les 17 cm avec un rayon de 45 cm entre deux rangs, en choisissant la profondeur d’enfouissement en fonction des conditions pédoclimatiques de l’année », précise Mickaël. Bien que mécanisée, l’opération est effectuée avec des semoirs de précision. De plus, les semis doivent être réalisés dans une fenêtre météo favorable car une pluie survenant trop tôt peut former une croûte à la surface du terrain qui empêche la levée des plantes. « Une erreur d’appréciation et c’est la catastrophe ! »
Dès lors, l’investissement humain est quotidien. Sur l’ensemble du cycle cultural, le planteur fait en sorte que les plantes bénéficient des conditions optimales. Il faudra lutter contre les ravageurs, insectes et autres limaces qui se régalent des jeunes pousses. Contre les plantes adventices, mauvaises herbes qui viennent priver la betterave d’une partie des nutriments présents dans le sol. Puis, contre les maladies, à l’image des jaunisses apportées par les pucerons. Là encore, la précision fait loi. L’écartement des rangs favorise le passage de bineuses mécaniques qui permettent d’utiliser moins de désherbant, et les interventions sont limitées au minimum vital. Ainsi, les produits de protection des plantes sont appliqués là où il y en a besoin, parfois au centimètre près, et au moment exact où c’est nécessaire. « Tout cela requiert beaucoup d’attention, comme un jardinier », conclut Mickaël.
Une vision que partage Bruno Cardot, dont l’exploitation est située dans l’Aisne. « Je soigne les plantes comme on soigne les hommes, note-t-il. Ma journée commence à 6 heures du matin avec les tâches administratives puis la consultation de la météo à cinq jours qui conditionne le travail des journées à venir. Dès huit heures, je me rends sur les parcelles pour effectuer mon "tour de plaine" et, si besoin, je me transforme en infirmier qui se porte au chevet des plantes qui en ont besoin. Il ne faut pas oublier que la qualité sanitaire des betteraves est notre exigence n°1. D’ailleurs, l’engagement de livrer une production "saine, loyale, marchande, avec un taux de sucre de 16 % minimum" fait partie des obligations réglementaires et contractuelles qui nous lient à la sucrerie. »
Agriculteur, planteur et entrepreneur
Le lien à la sucrerie locale où le planteur livre sa récolte est une autre particularité du métier. En effet, les quantités de betteraves et les conditions d’achat sont négociées chaque année en amont des semis. En France, le modèle coopératif prévaut – avec deux groupes totalisant 17 usines (Cristal Union, Tereos) – et partie de la production de sucre est également assurée par des acteurs privés qui opèrent 4 usines sur le territoire métropolitain (Lesaffre Frères, Ouvré & Fils, Saint Louis Sucre).
Pour les planteurs livrant à une structure coopérative, « le fait d’être investi dans la transformation est un aspect très motivant, souligne Mickaël Jacquemin. À travers les administrateurs qui représentent les adhérents nous participons aux orientations stratégiques, et la dimension industrielle prolonge notre vision entrepreneuriale au-delà de l’exploitation agricole. » Car au-delà de la betterave, les planteurs sont souvent à la tête d’exploitations importantes (137 ha en moyenne), engagées dans les grandes cultures (blé, orge, maïs, lin…) ou dans la polyculture-élevage avec des activités de diversification : culture de sapins de Noël, horticulture, apiculture... Certains se sont même lancés dans la viticulture, un véritable challenge sur des territoires de production betteravière qui se concentrent dans le tiers nord de la France...
Les « ageekculteurs » investissent les médias
La dynamique entrepreneuriale qui anime les planteurs s’exprime aussi par l’intérêt pour les hautes technologies et les médias numériques. L’imagerie satellitaire, le guidage GPS, les outils d’aide à la décision et de pilotage des cultures et, plus récemment, les capteurs, drones et autres robots sont devenus les partenaires d’un secteur fortement demandeur d’innovation. Si 99 % des agriculteurs sont équipés d’un ordinateur connecté à Internet et 70 % d’un smartphone, le plus surprenant réside dans l’usage intensif des réseaux sociaux : 68 % sont inscrits sur au moins un d’entre eux (étude Agrinautes 2020). Les planteurs y sont particulièrement actifs, notamment au sein de l’association #FranceAgriTwittos dont le compte Twitter compte plus de 500 membres et 20 500 followers. Son but ? Diffuser une communication positive, sincère et bienveillante sur le monde agricole afin de retisser les liens avec la société.
« Twitter est le support idéal pour faire passer des messages simples et concrets, pour relayer des informations d’actualité, pour interpeller des personnalités influentes et, surtout, pour lutter contre les "fake news" qui se propagent sur les réseaux numériques », affirme Bruno Cardot, qui est également présent sur Facebook et YouTube. Il met à profit ce réseau pour lutter contre l’agribashing avec des vidéos basées sur l’humour et l’autodérision. Ses adaptations des groupes Trust (AntiFarmer) et Manau (Ma France ma campagne) sont à partager sans modération !
Les « ageekculteurs » investissent aujourd’hui les principaux réseaux, comme Instagram, Snapchat ou LinkedIn... Et même TikTok, le réseau phare des plus jeunes où Marc-Antoine fait un carton avec des vidéos racontant son quotidien d’agriculteur : son compte @Agricoolteur compte plus de 372 000 abonnés ! Double impact, ces initiatives militantes trouvent un écho dans les médias traditionnels (presse, TV, radio) qui y consacrent régulièrement des chroniques.
« Betteraviers, nous sommes fiers de vous »
Comme le constate Denis Fumery, agriculteur dans le Val d’Oise, « la communication est devenue une composante à part entière de notre métier. Remplir l’assiette du citoyen ne suffit plus : désormais, nous devons l’informer, faire de la pédagogie sur notre métier et sur nos produits. C’est notamment le cas pour le sucre dont nous avons à cœur d’expliquer l’origine, la nature et les usages. Chacun d’entre nous doit endosser un rôle de "prof-agri" pour porter ces messages à nos amis, à nos voisins... et au-delà ! »
La mise en valeur du métier de planteur est également soutenue par des organismes interprofessionnels et syndicaux comme Cultures Sucre et la Confédération générale des planteurs de betteraves (CGB). Ils y contribuent à travers des outils d’information et en faisant participer la filière betterave-sucre-alcool à des événements tels que le Salon international de l’agriculture. La profession compte même un organe de presse, Le Betteravier français.
Depuis plusieurs années, la CGB diffuse également une campagne de communication en plusieurs volets qui, sous le slogan « Betteraviers nous sommes fiers de vous », met en avant l’importance des débouchés de cette culture pour l’économie française. « La filière entend partager un sentiment de fierté avec le plus grand nombre pour valoriser son savoir-faire, souligne Carine Meier, directrice de la Communication de la CGB. Sur fond d’agribashing, cette campagne vient aussi dire simplement "Merci" à nos agriculteurs et apporter un message d’encouragement et de reconnaissance à ceux qui ont à cœur de bien faire leur métier. »
Un sentiment de fierté qui contribue à l’attractivité du métier de planteur, notamment pour les jeunes générations d’agriculteurs. « Il est vrai que les motifs de fierté ne manquent pas, conclut Bruno Cardot. Nous contribuons à nourrir et à apporter du plaisir avec le sucre, à offrir une protection sanitaire à toute la population avec les gels hydroalcooliques et à fournir une énergie plus propre avec le bioéthanol. Sans compter le coup de pouce au pouvoir d’achat que ce biocarburant apporte au consommateur... » Autant de réponses à des enjeux actuels qui donnent un sens au travail quotidien du betteravier.