Décembre 2024
Remporter le Championnat de France du Dessert est l’aboutissement d’un parcours digne d’un grand sportif. Quelles ressources mobiliser ? Où aller les chercher ? Comment relever les défis, dépasser des obstacles ? Retour vers le futur en compagnie de deux Champions de la catégorie « Juniors », Marie-Diana Bourdil et Zachary Lebel.
15 janvier 2019, École de Paris des Métiers de la Table, finale régionale Centre-Île-de-France du Championnat de France du Dessert. L’assemblée, tétanisée, retient son souffle. Un homme, tout de blanc vêtu, agite vigoureusement un tissu au-dessus d’une jeune fille évanouie. Contrairement aux apparences, l’homme n’est pas médecin urgentiste mais chef pâtissier. « Lorsque j’ai ouvert les yeux et que j’ai vu Cédric Grolet [1], en personne, me faire de l’air, j’ai bien cru que j’allais retomber dans les pommes ! », se souvient Marie-Diana Bourdil. Plus de peur que mal, mais qui pensait que cette histoire aurait un bel happy end ? N’anticipons pas et revenons aux faits.
« Une force qui va ! »
Conformément aux usages du Championnat de France du Dessert, les participants des finales [2] sont réunis en demi-cercle autour du président du Championnat et des membres du jury, lui-même composé de personnalités éminentes de la pâtisserie. Le briefing délivré aux candidats est intense et jalonné de consignes précises. La concentration des candidats est maximale, la pression commence à monter. Élève en Mention complémentaire de cuisinier en desserts de restaurant (MCCDR) au CFA Médéric de Paris, Marie-Diana concourt dans la catégorie « Juniors ». Depuis plusieurs mois, elle s’est jetée corps et âme dans la préparation. À la fatigue, au stress, s’ajoute une intoxication alimentaire contractée la veille de l’épreuve.
« Elle est tombée d’un coup, en plein briefing, relate Jean-Patrick Blin, organisateur délégué du Championnat de France du Dessert. Elle s’est rapidement remise sur pieds mais nous lui avons proposé de reporter sa participation sur une autre finale régionale... Rien à faire : elle a décidé de continuer et s’est mise au travail avec une détermination doublée d’une sérénité étonnante au vu des circonstances ! » « Je suis une force qui va ! », lançait Victor Hugo à la face à l’adversité. De manière plus pragmatique, Jean-Patrick souligne que « la discrète et menue Marie-Diana renfermait une âme de compétitrice mais on ignorait encore qu’elle avait la flamme des champions... » Marie-Diana se chargera de le démontrer en remportant avec brio la finale régionale avant de triompher, trois mois plus tard, lors la finale nationale du Championnat de France du Dessert !
« Fou de pâtisserie »
Il est vrai que, depuis sa création en 1974 par Cultures Sucre, cette compétition révélatrice de talents est un recueil de belles histoires, comme l’illustre l’aventure de Zachary Lebel. Pâtissier par vocation, Zachary avait pour habitude, depuis ses seize ans, de délaisser son Calvados natal les samedis pour se rendre à la capitale afin d’assister aux événements de la boutique « Fou de pâtisserie ». De grands chefs pâtissiers venaient y réaliser leurs recettes en direct. Il n’hésitait pas à aller à leur rencontre pour échanger sur le métier. Il en rapportait dans son baluchon des souvenirs précieux et inoubliables, des apprentissages soigneusement consignés sur un cahier, mais aussi une foi en l’inévitable convergence de la passion et du destin. Allait-elle lui donner raison ?
Au printemps 2019, Zachary assiste à une démonstration professionnelle organisée par Cultures Sucre et animée par les tout nouveaux Champions de France du Dessert. Au travail, Yoann Normand (catégorie « Professionnels ») et – devinez qui – Marie-Diana Bourdil... Jean-Patrick se souvient : « j’ai capté dans l’assistance les yeux écarquillés de ce gamin de dix-sept ans, totalement concentré, qui ne perdait pas une miette de tout ce qui se passait sur le plateau et tout autour. » Un épisode déterminant pour le futur Champion. « J’avais été repéré par l’éditrice du magazine Fou de pâtisserie, Julie Mathieu, qui m’a invité à cette démonstration, se rappelle Zachary. Elle m’a présenté à Jean-Patrick Blin qui m’a encouragé à tenter le Championnat de France du Dessert. »

Pari tenu. Il s’inscrit en MCCDR à la rentrée 2019-2020, également au CFA Médéric. Il remporte la pré-sélection interne à l’établissement puis la finale régionale de mars 2020. Jusque-là tout va bien... Hélas, le Covid 19 et le confinement en décident autrement. La finale nationale, prévue en avril, est reportée sine die, balayant les efforts, les heures de travail et l’énergie engagés dans la préparation. « Pour couronner le tout, le poste en alternance que je devais avoir au Shangri-La est tombé à l’eau. Bref, la déprime totale... » Loin de se décourager, il se remet au travail sur son dessert « création » du Championnat en compagnie de Morgane Rimbaud, jeune cheffe pâtissière qui se prépare, elle aussi, pour la finale du Championnat 2020 mais en catégorie « Professionnels ». Ils écriront, à leur tour, une belle page du Championnat. La finale aura finalement lieu en octobre 2020 et placera Morgane et Zachary sur la plus haute marche des deux podiums !
« Un enfance gourmande »
Pour en arriver là, Marie-Diana Bourdil et Zachary Lebel ont, comme tous les candidats du Championnat de France du Dessert, bénéficié de l’excellence des formations professionnelles, dont la MCCDR qui prépare les jeunes chefs pâtissiers à exercer dans les plus grands établissements. Mais cela n’explique pas tout. Où aller chercher la touche de magie qui fait germer les graines de champion ? Nos deux témoins nous livrent un indice : il faut remonter à l’enfance.
« J’ai douze ans, mon père est restaurateur, ma mère tient une boulangerie et, surtout, je suis très proche d’un membre de ma famille qui est maître chocolatier à la retraite, rembobine Marie-Diana. Il a installé un laboratoire chez lui pour continuer à fabriquer des chocolats. Je viens l’aider dès que je le peux, surtout à la période de Noël où l’on met les bouchées doubles. J’admire ses gestes et sa passion, je baigne avec bonheur dans cet environnement gourmand. » En toute logique, elle intègre à dix-huit ans le Lycée hôtelier Georges Frêche de Montpellier, où elle réside, en Bac pro boulangerie-pâtisserie. Son professeur, Patrick Cirou, l’oriente ensuite vers le CFA Médéric et la fameuse Mention complémentaire. On connaît la suite...
Zachary, quant à lui, n’a pas grandi dans un univers de métiers de bouche mais sa famille cultive une tradition : à chaque repas de fête, chacun prépare un plat et les rôles tournent d’une occasion à l’autre. « L’année de mes quatorze ans, ma mère a été chargée de la bûche de Noël. Elle m’a proposé de l’aider mais, en fait, je me suis retrouvé à faire la recette tout seul, de A à Z. À ma grande surprise la bûche a fait l’unanimité, à tel point que j’ai été désigné spécialiste du dessert pour les repas de famille ! C’est là que j’ai découvert ce sentiment incroyable de faire plaisir aux autres et qu’à travers la pâtisserie, je pouvais jouer un rôle utile. »
« Ne pas oser est un défaut »
Ces témoignages pourraient laisser croire à un conte de Noël. Loin s’en faut. La pâtisserie a certes ses héros mais elle n’a pas de miroir aux alouettes. Devenir pâtissier(e) et se hisser parmi ses pairs est le fruit d’un travail exigeant et de longue haleine qui demande d’être porté par une passion sincère. « Notre génération a eu la chance de grandir à l’ère des émissions culinaires et des réseaux sociaux, ajoute Zachary. Nous avons pu y apprendre des choses et découvrir des personnalités inspirantes. Tout cela nous a nourri tout en nous encourageant à trouver notre propre voie. »
De son parcours, Marie-Diana a également tiré des enseignements importants. « Ma formation et une expérience telle que le Championnat de France du Dessert ont conforté les valeurs que j’avais en moi. J’ai compris que je devrais à mon tour les transmettre pour honorer notre profession. Dans mon activité, j’agis aussi pour faire évoluer les mentalités en cuisine. Je le fais à travers des petits actes quotidiens mais la persévérance est une qualité de notre métier. » Un pari approuvé par Zachary qui s’est donné cette devise : « ne pas être audacieux est un défaut ! » Il y a peu de chance que ces jeunes Champions s’endorment sur leurs lauriers.
[1] Chef pâtissier de l’hôtel Meurice, à Paris, Cédric Grolet était président de l’édition 2019 du Championnat de France du Dessert.
[2] Le protocole est identique pour les finales régionales et nationales.
À l’heure où nous éditons cet article, Marie-Diana Bourdil est cheffe pâtissière de l’hôtel cinq étoiles Aman Le Mélézin, à Courchevel, et Zachary Lebel est responsable de la pâtisserie au restaurant gastronomique La dame de Pic, à Paris.