Février 2022
La pratique du jeûne s’est fait une place dans la quête de bien-être ou de minceur. Mais les allégations sur ses bienfaits supposés font débat. L’Institut Benjamin Delessert, association soutenue par la filière Sucre, a souhaité y apporter le point de vue de spécialistes dans le cadre de la Journée Annuelle Benjamin Delessert. Cette rencontre scientifique de nutrition s’est déroulée le 4 février dernier.
Le jeûne, du rituel religieux à la démarche militante
Le jeûne est une pratique ancestrale présente dans la plupart des religions, à l’image du carême chez les catholiques et du ramadan chez les musulmans. La privation volontaire de nourriture est alors une affirmation de sa spiritualité et de son adhésion à la frugalité recommandée par les textes sacrés. Mais il existe bien d’autres motivations pour pratiquer le jeûne. Il peut prendre la forme d’une grève de la faim, comme l’a fait Ghandi dans son combat pacifique pour l’indépendance de l’Inde. On parle alors de « jeûne politique ».
Le stage de jeûne : une démarche « d’optimisation » de soi ?
Très en vogue dans la société occidentale, les « stages de jeûne » sont très prisés par certaines catégories de personnes, notamment celles en quête de spiritualité, de ressourcement ou encore d’amélioration de ses performances. Pour les organisateurs et pratiquants, le jeûne est associé à des promesses de bien-être, de vitalité, de perte de poids ou encore de détoxification de l’organisme. Il se pratique souvent dans le cadre de stages en pleine nature, en association avec des randonnées et/ou de la méditation. Comme l’explique le sociologue Tristan Fournier, chercheur au CNRS, ces stages proposent une réponse à un désir « d’amélioration de soi » et leur promotion s’appuie généralement sur trois axes : « la critique de la modernité et de pratiques alimentaires "dénaturées", la redécouverte de soi et la réconciliation entre nature et nature humaine, une pause permettant de se "nettoyer" pour repartir à zéro. »
Si les pratiquants se montrent convaincus, l’efficacité du jeûne n’a pas été démontrée, tant aux plans physiologique que du bien-être. « Il est vrai que c’est une pratique compliquée à évaluer scientifiquement », nuance Tristan Fournier. Il est toutefois établi que la privation de nutriments fondamentaux et d’énergie peut se révéler dangereuse chez certaines personnes et dans certaines circonstances, notamment en cas d’efforts physiques prolongés. Par ailleurs, plus la durée du jeûne s’allonge, plus le risque s’accroît. « Le jeûne prolongé entraîne des complications gastro-intestinales, rénales, hépatique et favoriserait des réactions métaboliques mettant en jeu le pronostic vital », confirme Anaïs Briot, chargée de recherche à l’Institut des maladies métaboliques et cardiovasculaires (Inserm Toulouse).
Le jeûne « thérapeutique » : une démarche médicale non autorisée en France
Dans certains pays comme l’Allemagne et la Russie, le jeûne peut être utilisé dans la prise en charge d’un grand nombre de maladies : dépression, diabète, troubles inflammatoires articulaires ou digestifs, maladies cardiovasculaires... En France, ce type de jeûne à visée thérapeutique n’est pas reconnu car, comme l’explique Tristan Fournier, « les institutions médicales insistent sur l’absence de preuves en faveur des effets bénéfiques du jeûne sur la santé humaine. »
En 2012, un professeur de gérontologie américain, Valter Longo, en a étendu le champ d’application au cancer. À partir d’études réalisées sur des souris atteintes de cancer, il a constaté que le stress provoqué par le jeûne agressait les cellules tumorales tout en protégeant les cellules saines. Mais l’idée « d’affamer le cancer » en faisant jeûner le malade n’a pas pu être extrapolée à l’Homme. Bien au contraire, le corps médical la déconseille fortement dans la mesure où la nutrition joue un rôle majeur dans la prise en charge des personnes souffrant d’une pathologie cancéreuse.
« Le jeûne n'a pas sa place dans le schéma thérapeutique oncologique et, a contrario, la dénutrition est un accélérateur de la maladie », confirme Philippe Pouillart, docteur en immuno-pharmacologie et enseignant-chercheur à l’Institut polytechnique UniLasalle. De fait, « l’organisme ne peut mobiliser suffisamment son système immunitaire et ses fonctions vitales pour se défendre efficacement contre le développement de la maladie. » L’enjeu nutritionnel est si important que l’on met aujourd’hui en place des démarches pour aider les patients à renouer avec le plaisir de manger lorsque les symptômes de la maladie et les effets des traitements les éloignent de l’acte alimentaire. Notamment grâce à des ateliers de cuisine ou de pâtisserie (voir notre article à ce sujet).
Le jeûne intermittent : une nouvelle tendance du régime minceur ?
Très en vogue dans les blogs, sites Internet et autres sources d’information dédiées à la minceur, le jeûne intermittent consiste à s’abstenir de manger pendant des plages horaires plus ou moins longues . Il peut prendre plusieurs formes telles que le jeûne alterné (1 jour sur 2 ou 2 jours par semaine) ou le régime TRF (time restricted feeding, traduit par alimentation sur un temps limité) correspondant à un jeûne de 12 à 16 heures consécutives sur une journée... On parle alors de « régime 16:8 » pour un jeûne de 16 heures, l’un des plus pratiqués. « Il existe également une approche 19:5 réduisant la fenêtre d’alimentation à 5 heures, le régime OMAD (One Meal A Day) », note le professeur David Jacobi, spécialiste de Médecine interne au CHU de Nantes.
Sur le principe, la réduction du nombre de repas génère des effets en chaîne : elle crée un déficit calorique sur la journée, améliore le métabolisme et incite le corps à puiser dans ses réserves. Dans la réalité, les effets du jeûne intermittent de type TRF sont contrastés. Côté avantages, on constate une certaine efficacité sur les paramètres métaboliques (poids, tension, diabète...) et une simplicité de mise en application (on peut manger de tout mais en respectant la fenêtre de prise alimentaire).
Les inconvénients sont, là aussi, très variables. Selon les protocoles et les personnes concernées, le jeûne intermittent sera au mieux inefficace ou, au pire, favorisera l’apparition de troubles du comportement alimentaire (anorexie, boulimie). Quant à l’effet amincissant, le professeur Jacobi reste réservé : « le jeûne alterné ne serait pas plus efficace qu’un régime hypocalorique pour perdre du poids ou maintenir son poids. Mais surtout, il n’est pas sans inconvénients. Selon la durée du jeûne, les personnes peuvent souffrir de maux de tête, de léthargie, de constipation, et le jeûne peut interférer avec la vie sociale. »
Alors, pour ou contre le jeûne intermittent ? Les données scientifiques aujourd’hui disponibles ne permettant pas de trancher, la question fait naturellement débat. Pour autant, le corps médical rappelle que toute démarche de ce type doit répondre à un objectif clairement défini et faire l’objet d’un suivi rigoureux. De plus, jeûner en intermittence ne veut pas dire que l’on peut manger n’importe quoi lorsqu’arrive le repas, et il faut absolument maintenir des apports suffisants en fibres (fruits, légumes, céréales complètes...).
De manière générale, face aux nouveaux types de régimes comme ceux faisant appel au jeûne, les spécialistes recommandent plutôt de s’appuyer sur les règles de base : s’assurer d’un suivi personnalisé, éviter les pratiques extrêmes et préserver la régularité des rythmes alimentaires.