Octobre 2023
Quels mécanismes entrent en jeu dans la perception sensorielle des aliments et leur appréciation ? Des chercheurs ont fait le point des connaissances sur le sujet, avec pour objectif de renforcer le lien entre recherche scientifique et pratique culinaire. En effet, une meilleure compréhension des principes à l’œuvre et leur intégration dans les processus créatifs culinaires pourraient permettre d’améliorer l’expérience sensorielle des consommateurs, voire d’optimiser la composition nutritionnelle des aliments ou des plats sans altérer leur appréciation. Le rôle des cinq sens a ainsi été exploré dans cette optique.
Le rôle majeur du goût
La perception gustative est le fait des récepteurs qui se trouvent principalement dans les papilles gustatives réparties sur la langue (voir notre article à ce sujet : La carte linguale des saveurs, un concept discrédité ?). La perception de l’intensité d’une saveur augmente avec la concentration de celle-ci, mais pas de manière linéaire : par exemple, ajouter du sel à un produit qui en contient peu aura plus d’impact sur l’intensité perçue que s’il est ajouté à un produit déjà salé. Quant à la saveur sucrée, la relation entre intensité perçue et concentration suit une courbe sigmoïde. Pour les édulcorants de synthèse, l’intensité de la saveur sucrée est perçue pour des concentrations bien plus faibles que pour les sucres ou les polyols (sucres-alcool), mais stagne au-delà d’une certaine concentration (Figure).
Intensité de la saveur sucrée en fonction de la concentration de A. sucres ; B. polyols ; C. édulcorants (échelle secondaire à utiliser pour le saccharose)
Par ailleurs, la saveur perçue s’atténue dans le temps lors d’une stimulation prolongée (phénomène d’adaptation), quelle que soit la saveur. De plus, la perception d’une saveur diffère quand celle-ci est seule ou mélangée. Ainsi, un mélange de composés ayant la même saveur primaire (ex : saccharose et fructose pour la saveur sucrée) crée un effet additif : l’intensité perçue est souvent plus importante que la somme des intensités des saveurs isolées. Une intensité gustative donnée peut donc être obtenue avec des concentrations moindres dans un mélange qu’avec une substance seule. A l’inverse, un mélange de saveurs différentes peut exercer un effet suppressif : une saveur peut atténuer la perception d’une autre saveur, et vice versa (par exemple mélange sucré/acide, ou amer/salé).
Enfin, le degré de perception des différentes saveurs diffère d’une personne à l’autre, principalement en raison de la densité des papilles fongiformes sur la langue, qui diffère entre les individus.
L’odorat, un rôle sous-estimé
L’odorat est le sens qui fait intervenir le plus grand nombre de récepteurs, avec pas moins de 350 types de récepteurs olfactifs chez l’Homme. Contrairement au goût, où les préférences pour les saveurs primaires sont innées, les préférences pour les odeurs semblent acquises. Toutefois, les phénomènes d’adaptation et d’interaction des mélanges décrits pour le goût sont observés aussi pour l’odorat.
Lorsque l’on a un aliment en bouche, on attribue souvent (à tort) les sensations perçues au sens du goût, alors qu’une partie de ces sensations relève en réalité de l'odorat. En effet, le goût se limite aux sensations perçues par les récepteurs gustatifs de la cavité buccale. En parallèle, des composés volatils libérés lors de la mastication des aliments atteignent les récepteurs olfactifs par voie rétronasale, et font donc intervenir l’odorat. Ce phénomène « d’amalgame sensoriel » suggère que des stimuli olfactifs pourraient être utilisés pour améliorer l’expérience gustative globale, par exemple en ajoutant aux plats des arômes (herbes, agrumes, etc.). Cela ouvre des possibilités pour diminuer les concentrations en sucre, en sel ou en glutamate monosodique dans une certaine mesure, sans réduire l'intensité perçue des saveurs qu’ils véhiculent.
Les perceptions visuelles, tactiles et auditives
Si les autres sens ont un impact moindre sur les sensations perçues lors de consommations alimentaires, celui-ci n’est pas à négliger pour autant. La perception visuelle est souvent la première interaction du consommateur avec un aliment. Quand un plat ou un aliment est présenté de manière attractive, on a tendance à l’apprécier davantage. Quant au toucher, la perception en bouche de la densité, de la taille, de la texture ou encore de la température d’un aliment sont autant de sensations transmises au cerveau par les différentes parties de la cavité buccale. Tout comme l’odorat, ces sensations tactiles sont capables de moduler les sensations gustatives perçues, et sont parfois exploitées en ce sens : par exemple, des agents de texture peuvent permettre de réduire certains composés, comme les matières grasses dans les glaces par exemple. Par ailleurs, certains composants alimentaires activent des récepteurs responsables de sensations dites trigéminales : par exemple, le menthol produit une sensation de fraîcheur en bouche, alors que le piment et certaines épices produisent une sensation de piquant (voire de brûlure pour les palais non habitués).
Enfin, la perception auditive contribue aussi à l’expérience alimentaire et à l’appréciation : on pense par exemple au croustillant des biscuits, au pétillant des boissons gazeuses ou au croquant d'une pomme…
Financement : RAS
Voir tous les articles du numéro spécial « Manger avec ses 5 sens »