Septembre 2024
Succédant au Plan National Recherche et Innovation (PNRI) lancé en 2021, le PNRI Consolidé (PNRI-C) est un programme de « Recherche Action » inédit par son envergure et les acteurs impliqués. Objectif ? Trouver des solutions alternatives de lutte contre une maladie à fort impact : la jaunisse de la betterave sucrière.
Retour en 2020. Cette année-là, la France a été confrontée à une infestation sans précédent de virus responsables de la jaunisse de la betterave ou plus exactement « des » jaunisses, car il en existe plusieurs formes. Comme son nom l’indique, cette maladie inoculée par les pucerons fait jaunir les feuilles dans les premières semaines de leur développement, ce qui bloque littéralement la photosynthèse chlorophylienne (qui produit le sucre) ainsi que la croissance de la plante. Conséquence directe, une perte de 30 % des rendements, en moyenne nationale, qui a lourdement impacté les agriculteurs et, au-delà, fragilisé l’industrie de production de sucre de betterave.
Si les pucerons sont devenus une telle menace c’est parce que les planteurs, depuis 2018, ne peuvent plus utiliser, en France, une famille d’insecticides appelés « néonicotinoïdes » qui constituent le seul traitement efficace connu à ce jour. « Face au risque de voir péricliter la filière, le gouvernement a lancé en 2021 le Plan National Recherche et Innovation (PNRI) qui visait à trouver des alternatives aux néonicotinoïdes en trois ans, explique Alexandre Quillet, président de l’Institut technique de la betterave (ITB). Le délai était court mais ce premier plan a permis d’identifier les axes de recherche les plus pertinents et, surtout, de mettre en place une recherche fondamentale et appliquée réunissant des acteurs publics et privés, issus du monde économique comme de la sphère environnementale et tournés vers un objectif commun. » C’est sur cette base que le plan a été prolongé jusqu’en 2026 par un PNRI Consolidé (PNRI-C) destiné à approfondir les connaissances et déboucher sur des solutions opérationnelles... et économiquement viables.
Un enjeu de souveraineté alimentaire et industrielle
En effet, outre les objectifs scientifiques et agronomiques, le PNRI-C a la particularité d’intégrer la dimension économique. Comme le souligne Alexandre Quillet, « la priorité environnementale qui passe par la réduction des traitements de synthèse est un choix de société légitime mais les solutions alternatives ne permettront pas, en l’état, de garantir une protection totale des betteraves, surtout dans les épisodes de forte pression d’un ravageur comme le puceron. Baisser la pression d’une épidémie est une bonne chose, la stopper – comme le faisaient les moyens de lutte conventionnelle – en est une autre. Il faut donc mettre en place un dispositif comparable à une assurance qui, en cas de dégâts, vienne compenser les pertes subies par l’exploitation. »
Un point de vue partagé par les industriels du secteur, comme l’affirme William Huet, directeur agricole adjoint du groupe Cristal Union. « On ne fait pas de sucre sans betteraves. Or, lorsqu’il choisit ses assolements, l’agriculteur va privilégier des cultures qui offrent une garantie de rentabilité et, à l’inverse, se détourner de celles où le risque économique est trop important. C’est pourquoi les pandémies agricoles peuvent faire disparaître des bassins de production agricole, puis des filières tout entières. C’est ce qui a failli se passer en 2020 au sud de Paris où les cultures betteravières ont été les plus impactées. » Pour bien comprendre le lien entre la matière première – la betterave – et les enjeux industriels, il faut se rappeler que la production sucrière est une industrie de première transformation qui doit traiter d’énormes volumes sur un temps court. Une fois mise en route, une sucrerie doit tourner à plein régime tout au long de la campagne, sachant que certaines unités ont la capacité de traiter jusqu’à 30 000 tonnes de betteraves par jour !
« C’est la condition sine qua non pour avoir un coût d’extraction acceptable par le marché, précise William Huet. Si on raccourcit la campagne faute d’approvisionnements en betteraves, on augmente les coûts de production et cette baisse de compétitivité nous expose aux importations issues de pays tiers. Avec, au final, une perte de souveraineté pour la France. Non seulement au plan alimentaire, avec le sucre et les pulpes pour l’alimentation animale, mais aussi aux niveaux énergétique et sanitaire en raison des liens de filière avec la production d’alcool éthylique qui fournit, entre autres, le bioéthanol et les gels hydroalcooliques. »
Une dynamique « public-privé » exemplaire
Une autre particularité du PNRI-C est de faire travailler en symbiose des acteurs privés et publics, tant au niveau de la recherche que de la gouvernance du programme. Co-présidé par l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE) et l’ITB, le Comité de coordination technique réunit également les services experts des entreprises sucrières et semencières ainsi que des représentants des ministères en charge de l’agriculture et de l’environnement.
Enfin, le PNRI-C bénéficie de l’appui d’un Comité scientifique, lui aussi pluriel, et d’un Comité de suivi interministériel. Les moyens alloués (20 millions d’euros) reflètent aussi cette pluralité avec 4 millions de financements publics, le reste étant assuré par l’INRAE, l’ITB, l’interprofession sucrière et les semenciers. « C’est à la fois une reconnaissance de l’expertise technique et scientifique acquise par la filière betterave-sucre française et un motif de fierté dans la mesure où le PNRI a servi de modèle aux Pouvoir publics pour bâtir le plan stratégique "PARSADA", dédié à l’ensemble des filières végétales », note Alexandre Quillet.
Une rampe de lancement pour le « biocontrôle »
Côté solutions, les enseignements du premier PNRI ont permis de recadrer les porteurs de projets autour des axes les plus prometteurs. En tant que directrice du département technique et scientifique de l’ITB, Fabienne Maupas souligne le grand intérêt suscité par les approches dites de « biocontrôle ». « Plusieurs techniques sont d’ores et déjà entrées en phase de test sur le terrain, à travers notre réseau de fermes pilotes expérimentales (encadré ci-dessous). Elles couvrent trois approches distinctes. L’introduction dans les cultures d’insectes prédateurs du puceron, l’utilisation de micro-organismes tueurs de pucerons (par exemple des champignons qui les paralysent) et le recours à des médiateurs chimiques qui vont agir au niveau de la communication des pucerons entre eux ou avec l’environnement. Par exemple des répulsifs dont les odeurs éloignent les pucerons ou encore des phéromones qui attirent leurs prédateurs... »
D’autres pistes sont explorées, comme les semis de plantes « compagnes » qui, mélangées aux betteraves, éloignent les pucerons (orge, avoine). Cette technique agit aussi au niveau visuel car elle rompt la géométrie rectiligne des parcelles de betterave (très attractive pour les pucerons) et crée des barrières physiques autour des plants de betteraves. Parallèlement, les travaux menés en permanence sur la mise au point de variétés plus résistantes aux agresseurs ont été renforcés sur l’axe des jaunisses. « Nous avons commencé à écarter les variétés les plus sensibles aux virus propagés par les pucerons », confirme Fabienne Maupas.
« Grâce à son expertise en sélection variétale, la filière a su relever des défis majeurs comme la rhizomanie, dans les années 1980, puis et les nématodes, il y a une vingtaine d’année, abonde William Huet. On trouvera pour les jaunisses, mais il est peu probable que ce sera avec une solution unique. De plus, avec le réchauffement climatique, nous nous attendons à être confrontés à de nouveaux agresseurs : insectes, virus, bactéries... » Autant de défis présents et à venir qui obligeront la filière à faire évoluer ses pratiques mais tous les acteurs s’accordent sur le fait que le PNRI et sa version consolidée ont ouvert la voie vers un modèle durable et soutenable, tant sur le plan technique qu’économique. Une clé d’avenir pour la filière betterave-sucre française.
Des expérimentations en conditions réelles
Un réseau de fermes pilotes d’expérimentation a été mis en place dans le cadre du PNRI afin de tester les nouvelles techniques en conditions réelles de production. Ces expérimentations permettent également d’évaluer les impacts organisationnels et économiques sur l’exploitation. Basé à Nojeon-en-Vexin, dans l’Eure, Laurent Vermersch fait partie de la soixantaine d’agriculteurs qui se sont engagés dans ce programme auquel il consacre une parcelle de 11 hectares. «
Je m’intéresse depuis longtemps aux nouvelles méthodes de culture avec, notamment, l’implantation de bandes enherbées en bordures de parcelles et des aménagements favorables à la biodiversité, explique-t-il. Ma participation aux fermes pilotes prolonge cette démarche. Ici, nous testons l’efficacité de l’avoine en tant que plante compagne associée à la betterave. Des techniciens de la filière font régulièrement des comptages de la présence de pucerons, vérifient l’état de la culture et décident si elle nécessite des interventions. Les résultats sont variables selon les conditions de l’année mais on connaît l’extrême complexité du vivant... Qu’il s’agisse de plantes compagnes, de biocontrôle, de mélanges variétaux ou de bandes fleuries, chaque piste explorée apporte sa propre pierre à l’édifice. »
Laurent Vermersch et sa fille, Fiona, sur une parcelle expérimentale associant betteraves sucrières et plantes compagnes.