Quand la science élargit notre palette de saveurs

Quand la science élargit notre palette de saveurs

Novembre 2023

Le gras, les féculents ou la réglisse ont-ils un goût spécifique qui s’inscrirait parmi les saveurs de base perçues par nos sens ? À défaut de trancher sur ces cas particuliers, la science est désormais sûre d’une chose : notre capacité à identifier certains goûts se révèle beaucoup plus complexe qu’on ne l’a longtemps cru.

Il était acquis de longue date que notre répertoire gustatif se limitait à quatre saveurs primaires fondamentales : le sucré, le salé, l’acide et l’amer. Puis on y a ajouté l’umami, qui signifie « délicieux », « savoureux », en Japonais. Ce goût est associé à un acide aminé, le glutamate, très présent dans la cuisine asiatique (notamment dans la sauce soja) mais aussi dans des aliments qui nous sont familiers : viandes, poissons, fromages, tomates... « Le récepteur spécifique de l’umami a été repéré dès le 19e siècle mais c’est en 2002 qu’il a été formellement identifié, précise Loïc Briand, directeur du Centre des Sciences du Goût et de l’Alimentation et directeur de recherches à l’Inrae (voir encadré en bas de page). Aujourd’hui, on considère qu’il y a bien d’autres saveurs gustatives que les cinq saveurs de base. Par exemple, l’astringence de l’artichaut, la fraîcheur de la menthe, l’épicé du poivre et du piment ou encore le goût métallique des aliments riches en minéraux... »

Des nouveaux goûts pour nos papilles ?

Avec les progrès scientifiques, notamment grâce au décryptage du génome, la chasse aux goûts a été relancée. Dans le monde entier, des chercheurs travaillent à identifier de nouvelles saveurs et de potentielles interactions entre les saveurs. C’est ainsi qu’est apparu le kokumi, caractérisé par une sensation de rondeur ou de longueur en bouche. On pense à l’onctuosité d’une sauce ou au surplus de saveur qu’un long mijotage apporte à un plat... « C’est un exhausteur de goût capable de prolonger la sensation en bouche du sucré, du salé ou de l’umami, note Loïc Briand. En revanche, il semblerait qu’il n’agisse pas à travers les récepteurs habituels du goût mais par les récepteurs du calcium, également présents sur la langue... »

Autre exemple, le gras est de plus en plus cité au répertoire des saveurs primaires, sous le nom « oléogustus ». Mais là encore la question fait débat. « Il existe bien des récepteurs sensibles à la densité énergétique qui signalent l’aliment comme source d’énergie, d’acides gras essentiels et de vitamines liposolubles, explique notre expert. Mais la transmission d’un signal nerveux via les nerfs gustatifs pose des questions. » Plus récemment, une équipe de l’Université d’Oregon (États-Unis) a isolé le goût starchy, qui signifie littéralement « riche en amidon ». « Il résulterait du processus de dégradation des glucides complexes contenus dans les aliments qui en sont riches, comme le riz, les pâtes ou les pommes de terre, mais les études sont encore embryonnaires », remarque Loïc Briand.

Des molécules en quête de récepteurs gustatifs

Un goût se définit par la présence d’un récepteur spécialisé dans la détection d’une molécule ou d’une classe de molécules contenues dans certains aliments qui ont l’aptitude de délivrer cette saveur. Lorsqu’on met l’aliment en bouche, la molécule est identifiée par les récepteurs situés dans les papilles gustatives réparties sur la langue. Ils envoient alors un signal véhiculé par les nerfs gustatifs vers le cerveau où se construit une image mentale du goût. La chaîne de perception déclenche une réponse physiologique dont le rôle est d’orienter notre comportement alimentaire à travers des réactions d’attirance (par exemple pour le sucre) ou, à l’inverse, de répulsion (par exemple pour l’amertume).

Ce mécanisme, aussi présent chez les animaux, a notamment une fonction protectrice. Comme le souligne Loïc Briand, « l’acide, le sucré et le salé ont chacun un récepteur dédié tandis que l’amertume peut activer jusqu’à vingt-cinq récepteurs : c’est un véritable système d’alerte car de nombreux aliments toxiques contiennent des molécules amères. » Mais comme rien n’est simple en la matière, certaines vitamines et minéraux aux effets bénéfiques pour l’organisme peuvent aussi avoir un goût désagréable qui active les récepteurs de l’amertume. Leur association avec des molécules sucrantes ou capables de masquer l’amertume permet ainsi de les rendre acceptables.

Des synergies gustatives et olfactives

Le goût de la réglisse pourrait-il, lui aussi, être une saveur à part entière ? Partant du constat que plusieurs édulcorants à haut pouvoir sucrant autorisés en alimentation, comme la brazzéine, la thaumatine ou la stevia, ont un goût de réglisse, Loïc Briand s’est penché sur ces molécules. « Le goût réglisse est-il capté par les récepteurs du sucré ou active-t-il ses propres récepteurs ? s’interroge-t-il. Nous en sommes encore au stade des hypothèses mais je pense qu’il y a un lien étroit entre le goût de réglisse et le goût sucré. »

Le décryptage des perceptions gustatives est d’autant plus complexe que de nombreux phénomènes entrent en jeu. Notamment le rôle joué par les récepteurs olfactifs et par les associations entre odeurs et saveurs qui se créent dans le cerveau. (Lire ici notre article sur les interactions entre les sens et le plaisir alimentaire.) Par exemple, la perception d’une odeur de caramel renforcera l’impression de goût sucré de l’aliment. De même, les chercheurs se sont aperçus que l’arôme fraise permettait de diminuer la quantité de sucre sans pour autant modifier la sensation d’intensité sucrée de l’aliment. Idem pour le salé où l’ajout d’un arôme d’anchois renforce l’impression de goût salé...

Des récepteurs du goût sucré au service de l’organisme

Enfin, les sciences du goût se sont récemment enrichies d’axes de travail aussi surprenants que prometteurs. Ainsi, des récepteurs du sucré, de l’amer et de l’umami ont été découverts dans l’intestin. Ces récepteurs gustatifs auraient pour fonction de réguler l’appétit, la glycémie et, d’une manière générale, l’équilibre du microbiote. « Au fil des années, des récepteurs du goût, particulièrement du goût sucré, ont été identifiés dans des organes comme le cerveau, le pancréas, l’intestin, ou encore dans les tissus adipeux, confirme Loïc Briand. On pense que le goût sucré est utilisé en bouche pour nous orienter vers les aliments énergétiques puis qu’il est réutilisé dans l’organisme pour contrôler l’absorption du glucose, notamment au niveau de l’intestin. Si le récepteur y détecte une augmentation de glucose, cela déclenche une surexpression des transporteurs du glucose dans le sang qui interviennent dans le contrôle de la glycémie. »

De manière analogue, lorsque les récepteurs du goût sucré situés dans les tissus adipeux détectent une augmentation du glucose sanguin, ils envoient au-delà d’un certain seuil au tissu le message de stocker du gras. Or, il semblerait que les édulcorants ont cette même capacité. « Cela pose beaucoup de questionnements sur l’impact des édulcorants sur la santé, conclut Loïc Briand. En trompant les récepteurs du sucré, ils pourraient tromper le système métabolique et contribuer à envoyer le message de stocker du gras. Ce qui, en termes de maîtrise du poids, est contraire à l’effet recherché...  » D’où le consensus qui semble aujourd’hui se dégager sur l’intérêt d’avoir une consommation raisonnée de sucre plutôt que de recourir systématiquement à des édulcorants. Ce constat de bon sens offre un exemple des avancées que la recherche sur les saveurs et leurs récepteurs apporte à la compréhension des mécanismes nutritionnels les plus complexes.

Créé en 2010 à Dijon, le Centre des Sciences du Goût et de l’Alimentation (CSGA) est une unité de recherche placée sous la tutelle de l'Institut Agro Dijon, du CNRS, d'INRAE et de l’Université Bourgogne Franche-Comté. Sa vocation est de mieux comprendre les mécanismes physicochimiques, biologiques et psychologiques qui sous-tendent les perceptions sensorielles et le comportement alimentaire tout au long de la vie. Les études vont de la libération des molécules à partir de l’aliment jusqu’au comportement du consommateur, en passant par les mécanismes biologiques à la base des perceptions sensorielles. Les travaux du CSGA contribuent notamment à l’innovation dans les industries agroalimentaires et pharmaceutiques.

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