Plaisir alimentaire, agueusie et anosmie : quand les sens s’emmêlent…

Plaisir alimentaire, agueusie et anosmie : quand les sens s’emmêlent…

8 septembre 2021

L’épidémie de coronavirus a mis en lumière les troubles du goût et de l’odorat dont on parlait peu avant la crise sanitaire. Mais concrètement, qu’est-ce que le goût ? Comment se construit-il ? D’où viennent nos préférences alimentaires ? Les neurosciences permettent d’appréhender cette affection des sens tout en soulignant les bénéfices de l’éducation olfactive. L’occasion de revenir sur les mécanismes du goût et du plaisir alimentaire qui occupent une place centrale dans notre vie.

Comment fonctionne le goût ?

Ce que nous appelons familièrement le « goût » est en réalité une image mentale qui se forme dans notre cerveau à l’issue d’un processus complexe. Tout commence par l’activation des systèmes sensoriels gustatif et olfactif qui, par neurotransmission, délivrent au cerveau une information qu’il va pouvoir décoder. Bien que les deux systèmes du goût et de l’odorat convergent simultanément vers le même but, ils fonctionnent d’abord de manière indépendante.

Le goût prend corps dans la bouche, qui contient les papilles gustatives. Logées dans la langue, elles renferment environ 10 000 bourgeons gustatifs qui captent les molécules sapides de l’aliment. Si l’on a coutume de réduire le goût à cinq saveurs  (salé, sucré, acide, amer et umami, typique de la cuisine asiatique), celles-ci ne sont que des repères au regard de l'immensité des saveurs qui peuvent être perçues compte tenu de la grande diversité génétique.

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Le nez joue également un rôle déterminant. À lui l’appréhension des arômes de l’aliment. « Les molécules odorantes voyagent par l’arrière gorge et atteignent les récepteurs olfactifs, explique Nathalie Politzer, directrice de l’Institut du Goût, organisme dédié à la recherche et à la vulgarisation scientifique dans ce domaine. L’odorat intervient à la fois par voie directe, lorsqu’on approche l’aliment de la bouche et qu’on le sent, et par voie rétronasale, lors de la mastication. Chacun peut mesurer toute l’importance de l’olfaction rétronasale : à l’occasion d’un rhume, l’altération de l’olfaction due à l’obstruction du nez fait perdre quasiment tout son « goût » à l’aliment... » Les arômes donnent ainsi le relief aux saveurs.

Comment notre cerveau reconnaît-il un aliment ?

Pour se former, l’image sensorielle mobilise également le nerf trijumeau qui innerve toutes les muqueuses du visage et joue un rôle spécifique. Par exemple, c’est lui qui permet de ressentir le piquant du poivre, le brûlant du piment, la fraîcheur du menthol, le pétillant d’une boisson ou encore l’astringence du thé ou de l’épinard.

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D’autres sens interviennent également : la vue d’un aliment réactive un goût mémorisé et crée une attente ; sa texture ou sa température sont évalués par la sensibilité des dents, de la peau, des muscles ou par l’audition. Toutes ces informations sensorielles sont transformées en influx nerveux puis envoyées au cerveau où elles sont traitées pour ne plus former qu’une image multisensorielle globale appelée « image sensorielle», qui est la représentation consciente de l’aliment.

Le cerveau reconnaît la nature et l’intensité de la stimulation de manière automatique et relativement stable. Pour un individu donné, le même goût produit quasiment la même image, ce qui favorise sa reconnaissance par la mémoire.

D’où vient le plaisir alimentaire ? 

Le plaisir – ou le déplaisir – lié à la consommation d’un aliment est un mécanisme associatif qui fait intervenir de multiples paramètres. L’apprentissage, l’expérience individuelle, le patrimoine génétique, le contexte psychosocial et affectif, l’état physiologique, la sensation de faim ou de satiété, la présentation de l’aliment, son emballage ou la personne qui le sert à table... Tous ces éléments sont pris en compte par notre inconscient pour associer l’aliment au plaisir.

Si nous aimons un aliment, c’est que son image sensorielle est associée à des messages hédoniques, symboliques et culturels stockés dans notre mémoire. L’appréciation des aliments est essentiellement modelée par les expériences gustatives vécues pendant l’enfance, entre quatre mois à trois ans. « Si, lors de cette période, l'enfant ne goûte pas à certains aliments, il y a de grandes chances qu'il ne les apprécie pas par la suite », affirme Sophie Nicklaus, chercheuse au Centre des sciences du goût et de l'alimentation.

Pour autant, « les préférences alimentaires peuvent évoluer tout au long de la vie, complète Nathalie Politzer. Les goûts et dégoûts sont perpétuellement actualisés, en fonction du contexte social et culturel dans lequel sont consommés les aliments et en fonction du plaisir qu’ils procurent. » Même les préférences gustatives innées – par exemple l’attirance du nouveau-né pour la saveur sucrée et son rejet de l’amertume – s’éduquent, s’affinent et se cultivent au fil du temps. C’est donc le vécu du mangeur et son souvenir affectif des aliments qui déterminent son « goût-préférence » et qui, de fait, orientent ses choix alimentaires.

Enfin, si le goût est avant tout le fruit d’une expérience individuelle, il existe des constantes partagées. Soit par un lien culturel (par exemple, les signaux sensoriels du fromage sont très appréciés par les Français mais désagréables pour de nombreux Anglo-Saxons), soit de manière universelle : par exemple, le déplaisir engendré par l’odeur du souffre ou de la matière en décomposition est inscrit dans le système neurologique pour nous éviter d’ingérer des éléments dangereux.

Agueusie et anosmie : perte du goût et de l’odorat

Le goût et l’odorat sont des sens si précieux que leur perturbation peut se transformer en véritable chemin de croix. Ces troubles, appelés « agueusie » pour la perte de goût et « anosmie » pour la perte d’odorat, peuvent être provoqués de manière transitoire ou définitive par différentes pathologies : grippe, allergie, traumatisme crânien, maladie neurodégénérative... On en parlait peu jusqu’à ce qu’ils fassent irruption dans la vie de nombreuses victimes du coronavirus.

La perte du goût et, plus particulièrement, de l’odorat fait effectivement partie des symptômes courants de la Covid-19. Comme l’explique le docteur Moustafa Bensafi, directeur de recherche au Centre de recherche en neurosciences de Lyon, « il semblerait que le coronavirus puisse atteindre les cavités nasales et se fixer sur certaines cellules des neurones olfactifs. Le virus pourrait ainsi les détériorer et causer la perte de l’odorat. » En effet, le bulbe olfactif étant une porte d’entrée vers le cerveau, son infection explique l’apparition des troubles neurologiques. « De la même façon, le virus pourrait s’attaquer aux cellules des fonctions gustatives au niveau de la langue. » (Source : Ra-santé.com)

Un mal invalidant, une expérience douloureuse

Dans le monde entier, des millions de patients ont ressenti ces symptômes qui sont encore plus fréquents lorsque la maladie se prolonge dans la durée. L’association #AprèsJ20 a été créée pour faire reconnaître cette forme de la maladie appelée « Covid-long » et pour venir en aide aux patients qui en sont atteints (de 500 000 à un million de cas en France). Comme l’explique sa présidente, la docteure Pauline Oustric, « les symptômes se manifestent par la disparition ou des altérations du goût, des modifications des odeurs perçues, ou encore la perception d’odeurs fantômes. Il semble que l’affection des zones neuro-sensorielles modifie les connections qui contribuent à l’image du goût. »

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Les témoignages de patients sont à cet égard édifiants : « la tomate-mozzarella a le goût de chocolat-noisette, le cabillaud de menthe et le café de pamplemousse. » D’autres évoquent « des bananes au goût de poisson pourri », « du pain au goût de métal » ou la sensation de « manger du carton ». Les odeurs fantômes de brûlé, de feu de cheminée ou de tabac froid sont fréquemment citées.

Résultat, les personnes perdent le plaisir de manger, et pour certaines se nourrir devient carrément « un supplice » au quotidien. « Les conséquences sociales et psychologiques peuvent être lourdes, confirme le docteur Bensafi. Des études montrent que 30 % des personnes qui perdent l’odorat peuvent développer une dépression. »       

Il est ainsi établi que la perte de plaisir alimentaire impacte directement la santé, tant au plan psychologique que physiologique. Comme le rappelle le diététicien-nutritionniste Charles Brumauld dans l’épisode de notre podcast « Morceaux choisis » sur la place du plaisir dans notre alimentation, « le plaisir sensoriel gustatif permet de réguler les émotions inconfortables que l’on peut ressentir dans une journée. De plus, le plaisir fait partie de l’équilibre alimentaire : sans plaisir vous aurez du mal à vous rassasier. »

Un risque pour les professionnels du goût

Le témoignage de Frédéric Bonnet, professeur de pâtisserie et de cuisine au CFA Purple Campus de Nîmes.

« J’ai attrapé la Covid-19 en novembre 2020. La perte de goût et d’odorat est survenue une semaine après l’apparition des symptômes grippaux. Les aliments avaient un goût totalement neutre, et cela a duré trois mois. C’est une épreuve à titre personnel, mais aussi dans l’exercice de mon métier. Quand les sens disparaissent l’expérience professionnelle ne suffit pas ! Par exemple, pour les assaisonnements et les dosages j’étais sans arrêt obligé de m’appuyer sur mes élèves. À l’inverse, j’étais incapable d’évaluer la dimension gustative de leur travail... Petit à petit, les choses sont revenues à la normale, mais l’expérience m’a rappelé combien les sens qui donnent du « goût » à la vie sont précieux... »

Les bénéfices de l’éducation olfactive

Dans le cadre des troubles liés à la Covid, pour éviter que le mal soit irréversible, il faut agir vite, tout d’abord en éteignant l’inflammation puis en procédant à une rééducation du cerveau qui peut durer plusieurs mois. Le processus consiste à sentir plusieurs fois par jour des odeurs précises (vanille, rose, café, biscuit grillé...) jusqu’à réactiver la mémoire olfactive et réveiller des émotions.

Plus généralement, Moustafa Bensafi et sa consœur Catherine Rouby ont récemment publié un livre sur le sujet : Cerveau et odorat, comment rééduquer son nez ? (EDP Sciences). Pour ces spécialistes, la compréhension du fonctionnement de l’odorat est une avancée en termes de diagnostic et d’aide à la récupération, mais c’est aussi un levier pour souligner l’importance de l’éducation olfactive, particulièrement chez les enfants. « La question de l’éducation est essentielle et les bénéfices sont encore plus probants dans le domaine alimentaire. »

En comprenant mieux ce qu’ils perçoivent lorsqu’ils mangent, les enfants ont plus de facilité à assimiler de nouveaux goûts et à développer un répertoire alimentaire favorable au bien-être et à la santé. Une bonne raison pour faire entrer les leçons d’éducation olfactive à l’école, et cela dès la maternelle ? L’idée commence à faire son chemin...

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