Novembre 2023
L’odeur de cookies chauds qui embaume la rue, les effluves d’une pizza qui diffusent dans un centre commercial : certains magasins cherchent à mettre à profit des odeurs alimentaires pour attirer les clients. Pour autant, l’effet des odeurs ambiantes sur nos attirances et consommations ne serait pas si évident, et dépendrait en réalité de nombreux facteurs. Une revue co-signée par Charles Spence de l’Université d’Oxford au Royaume-Uni propose un aperçu des études sur le sujet.
Quand les odeurs stimulent nos envies alimentaires
Les chercheurs s’intéressent d’abord aux effets des odeurs sur nos envies alimentaires. Dans certains cas, des signaux olfactifs ambiants augmentent l'appétit pour des aliments. Ce phénomène est baptisé appétit sensoriel spécifique (ASS). Par exemple, diffuser une odeur de pizza a augmenté de manière significative l'envie de pizza déclarée par les participants d’une étude. Toutefois, ce phénomène n’est pas systématiquement observé : le fait de diffuser une odeur de viande dans la salle à manger d’une maison de retraite en France a augmenté les prises alimentaires des résidents lors d’un premier test, mais s’est révélé sans effet 15 jours plus tard lors d’un second test.
Pour expliquer l’inconstance des relations observées, les chercheurs évoquent plusieurs pistes : notamment, une congruence/similitude entre l’odeur ambiante et l’aliment testé pourrait être nécessaire. Ainsi, dans une étude, la diffusion d’odeurs sucrées attisait l’ASS pour des aliments sucrés, et réduisaient l’appétit pour des aliments salés, et vice versa. Cette congruence était observée au niveau des saveurs, mais aussi au niveau de la composition en macronutriments (des odeurs évoquant un plat glucidique attisent l’appétit pour d’autres aliments glucidiques) et de la densité énergétique (des odeurs d’aliments de haute densité attise l’appétit pour d’autres aliments de haute densité). Des odeurs non alimentaires réduisaient l’appétit en général.
De l’appétit à la satiété olfactive…
La durée d’exposition à l’odeur pourrait également expliquer le caractère inconstant du phénomène d’appétit sensoriel spécifique : dans une étude, l’ASS augmente quand on diffuse une odeur de pizza pendant une minute ; dans une autre, le plaisir escompté à l’idée de déguster du chocolat ou du poulet diminue quand on diffuse ces odeurs pendant 5 minutes.
Aux côtés de l’appétit sensoriel spécifique lié aux odeurs, il semble donc exister un phénomène de « satiété » sensorielle spécifique (SSS) olfactive. Comme pour l’ASS, la SSS olfactive serait liée aux congruences des saveurs : dans une étude, seuls les cookies aux pépites de chocolat étaient délaissés après l’exposition à leur odeur, mais pas les cookies d’autres saveurs. Ce phénomène de SSS olfactive pourrait résulter de ce que les chercheurs nomment une « compensation sensorielle transmodale » : l’exposition prolongée à une odeur activerait les circuits neuronaux de la récompense et génèrerait du plaisir, ce qui réduirait l’envie de consommer réellement l’aliment.
La durée d’exposition générant le passage de l’ASS à la SSS reste sujette à débat, avec des résultats variables selon les études : on observe parfois une stimulation de l’ASS même pour des durées d’exposition de 10-30 minutes, tandis que 2 minutes suffisent parfois à voir apparaître une SSS olfactive. D’autres facteurs entrent ainsi en jeu – les chercheurs évoquent la piste de l’intensité du stimuli –, mais restent à élucider.
Quels effets sur les consommations réelles ?
Au-delà des effets de l’ASS et de la SSS olfactifs sur les appétences pour les aliments, quid de leurs effets sur les consommations réelles ? Là-encore les résultats sont hétérogènes, l’exposition à une odeur conduisant parfois, mais pas systématiquement, à une augmentation des consommations des aliments congruents, le degré de faim pouvant en partie expliquer cette hétérogénéité. Toutefois, quelques tendances semblent se dessiner : dans plusieurs études, les odeurs de fruits paraissent en effet stimuler les consommations de fruits et décourager les consommations d’autres aliments. Par exemple, le fait d’être exposé à une odeur de poire augmente le nombre de fois où un dessert fruité était choisi versus un brownie ; l’odeur de melon semble quant à elle réduire les choix d’aliments de haute densité énergétique. Pour les chercheurs, ces effets des odeurs fruitées (s’ils sont confirmés) pourraient être utilisés pour orienter les consommateurs vers des choix favorables à leur santé (nudges [1]).
Enfin, certaines caractéristiques individuelles, telles qu’un IMC élevé, un haut degré de restriction alimentaire, ou le fait de faire un régime, pourraient aller de pair avec une sensibilité plus élevée aux effets des odeurs alimentaires.
[1] Voir
notre article plus général sur les nudges sensoriels