Décembre 2024
La malabsorption des nutriments fait partie intégrante des symptômes de la mucoviscidose, exposant les patients au risque de malnutrition et à ses lourdes conséquences : fonction pulmonaire dégradée, espérance de vie réduite... Une emphase très importante est ainsi mise sur la couverture des besoins énergétiques et la bonne prise de poids des patients, et ce dès le plus jeune âge. Au risque de créer des troubles de l’image corporelle et des troubles alimentaires chez les patients ? Telle est la question soulevée par trois cliniciennes suivant des enfants atteints de mucoviscidose dans des hôpitaux américains.
La pression alimentaire vécue par les patients
Alimentation enrichie en calories, lipides et protéines… et supplémentation orale voire nutrition entérale si cela ne suffit pas : le maintien d’un IMC suffisant est un point critique de la prise en charge des patients atteints de mucoviscidose. Si les parents entendent bien la nécessité de telles recommandations, leur bonne mise en pratique au quotidien reste un vrai défi : seulement 15 à 23 % des enfants souffrant de mucoviscidose atteindraient les apports nutritionnels recommandés (plus élevés par rapport aux recommandations pour les enfants non malades du même âge, afin de pallier la malabsorption). Avec à la clé, un stress important vécu par les parents, des tensions importantes au cours des repas, des stratégies parentales déployées tous azimuts (ordres, renforçateurs, incitations physiques à manger…), un temps de repas accru et l’impression pour les parents que leur enfant présente des comportements particulièrement problématiques (alors qu’ils font partie d’un développement classique).
Troubles alimentaires et insatisfaction corporelle
Les conséquences de la pression continuelle à manger suffisamment (sans tenir compte des signaux de faim et de satiété), associées au rappel systématique des objectifs nutritionnels au cours des rendez-vous médicaux et du suivi des mesures anthropométriques, pourraient ainsi faire le nid de préoccupations liées à l’image corporelle et aux troubles alimentaires. A l’instar des autres maladies présentant une composante nutritionnelle (diabète, maladie cœliaque…), ces troubles seraient répandus chez les patients atteints de mucoviscidose et pourraient même occasionner des stratégies d’évitement des traitements nutritionnels prescrits (enzymes pancréatiques pour faciliter l’absorption) ou un non-respect des objectifs nutritionnels cibles.
Cette problématique trouve une résonance accrue avec l’arrivée dans l’offre de soins de nouveaux traitements aux effets spectaculaires, corrigeant les défaillances liées à la protéine CFTR [1], défectueuse dans la mucoviscidose : les HEMT (pour Highly Effective Modulator Therapy). Entre autres améliorations, ces nouveaux traitements induisent une prise de poids rapide de la part des patients. Après des années de lutte pour maintenir/prendre du poids, le tournant occasionné pourrait participer à accroitre les troubles alimentaires et d’image corporelle des patients.
Vers de nouvelles pratiques cliniques ?
Les chercheuses avancent plusieurs pistes pour améliorer la prise en charge de patients dans la nouvelle ère des HEMT, à déployer dès le plus jeune âge : par exemple, l’adoption d’une approche neutre sur le poids [2] au cours des consultations, sans jugement sur les aliments (ni bons ni mauvais), avec un focus sur les sensations de faim et de satiété, selon les principes de l’alimentation intuitive [3] et de pleine présence/conscience [4]. Un dépistage de routine des troubles alimentaires chez les jeunes patients atteints de mucoviscidose (en particulier à l’âge sensible de l’adolescence) est également proposé.
[1] Cystic Fibrosis Transmembrane Conductance Regulator, régulateur de conductance transmembranaire de la mucoviscidose
[2] Cadre qui considère le poids comme l’un des nombreux marqueurs interconnectés de la santé et du bien-être, plutôt que comme l’indicateur principal.
[3] qui consiste à manger selon ses signaux de faim et de satiété
[4] Attention portée aux propriétés sensorielles des aliments, aux sensations corporelles et aux signaux internes mais aussi l'acceptation des envies et des pensées liées à la nourriture.