Décembre 2023
Le jaune du citron associé à l’acidité, le rouge des cerises au sucré… de nombreuses études ont rapporté des associations mentales entre couleurs et saveurs. Des chercheurs ont toutefois voulu caractériser plus précisément ces correspondances, dites transmodales, en développant schémas expérimentaux, combinant le traitement informatique d’images et des tâches de couplage menées par des participants. Pour cela, ils ont mis au point et réalisé cinq expériences successives aux États-Unis.
La première expérience avait pour objectif de répondre à la question suivante : des couleurs dominantes ressortent-elles des images trouvées en ligne (dans Google) à partir de mots clés sur les saveurs primaires (sucré, salé, amer, acide, umami) ? Si la réponse s’est révélée être oui pour certaines saveurs – le rouge prédomine dans les images associées au sucré, le rouge et le marron dans les images associées à l’umami –, elle était plus nuancée pour d’autres : la palette de couleurs associées à l’amertume allait du vert au rouge, en passant par le jaune et l’orange.
Les chercheurs ont ensuite voulu tester, dans une seconde expérience, les correspondances saveurs-couleurs cette fois dans l’esprit d’un échantillon de 245 sujets. Originalité de l’expérience par rapport aux études précédentes, il était demandé aux participants de choisir la couleur la plus fortement associée à chacune des saveurs primaires sur un espace colorimétrique en deux dimensions, représentant la teinte (en abscisse) et la luminosité (en ordonnée) (voir Figure). Chaque saveur testée faisait apparaître des probabilités de réponses plus fortes dans une zone spécifique de l’espace colorimétrique (le sucré dans les zones rouge/rose, l’acide dans le vert…).

Figure : Densité des réponses des sujets devant associer une couleur à la saveur sucrée.
L’expérience 3, reprenant le même mode opératoire que l’expérience 2, a répliqué ces résultats sur un autre échantillon mais a surtout permis de pousser l’analyse un cran plus loin en demandant aux sujets ce qui leur venait à l’esprit pendant qu’ils associaient couleurs et saveurs. Résultats ? Ces associations saveurs-couleurs passaient par des représentations mentales intermédiaires d’objets sources : l’association entre la saveur sucrée et les couleurs rouges/roses semblaient ainsi passer par la convocation mentale de fruits et de bonbons. La saveur salée était associée au bleu de l’océan mais aussi au jaune des frites et des chips.
Ces associations d’idées ont inspiré une quatrième expérience : les chercheurs ont comparé des images trouvées en ligne en tapant des mots clés sur les représentations mentales ressortant de l’expérience 3 (ex : images de fruits, bonbons, viande…) et les images trouvées en ligne, en tapant des mots clés relatifs aux saveurs (ex : sucré, salé…). Les images associées à la saveur sucrée se révélaient visuellement similaires aux images associées aux bonbons, fruits et snacks sucrés. Les images associées à l’amertume étaient proches des images associées aux légumes, boissons chaudes, agrumes, fruits. etc. ; confirmant ainsi par une autre méthode que les différentes saveurs sont associées à différents types d’objets.
Enfin, dans une cinquième et dernière expérience, les chercheurs ont voulu tester si des variations de l’état de l’objet intermédiaire convoqué dans les associations mentales saveurs-(objet)-couleurs pouvaient impacter ces associations. Pour cela, ils ont demandé à des participants d’imaginer des fruits plus ou moins mûrs et de leur associer une couleur puis une saveur. Si le degré de maturité semblait impacter à la fois les couleurs et saveurs associées, les associations saveurs-couleurs semblaient davantage sous l’influence de l’identité même de l’objet (ici du fruit) que de ses variations (ici le degré de maturité).
Ainsi, ces différentes expériences viennent étayer l’existence d’associations saveurs-couleurs relativement constantes, mais plus nuancées que précédemment rapporté. Celles-ci pourraient découler des correspondances avec des aliments types présents dans l’environnement alimentaire. De telles associations suggèrent que les couleurs sont à même de moduler nos perceptions et pourraient être mises à profit pour améliorer les expériences gustatives.