Avril 2025
Glaces italiennes, café brésilien, croissants français… de nombreux pays sont réputés pour certaines spécialités, et peuvent en tirer un avantage en termes de prix de vente sur les marchés. Pour autant, ces spécialités ne bénéficient pas toutes de la même aura, les spécialités de certains pays tirant mieux leur épingle du jeu que d’autres en termes de plus-value. Des chercheurs ont voulu identifier l’origine de telles différences, c’est-dire comprendre comment un imaginaire derrière un type de cuisine peut modifier sa valeur perçue.
Des plats similaires rattachés à deux pays différents
À partir de 4 études en ligne menées auprès d’un millier de consommateurs américains (33 à 44 ans en moyenne selon les études), les chercheurs ont comparé la valeur monétaire attribuée à des recettes similaires, mais présentées soit comme françaises, soit comme thaïlandaises. Les participants se voyaient distribuer un menu comportant les six mêmes types de plats (soupe de poisson, poulet en sauce, assortiment de légumes, dessert à base de riz…) mais présentés différemment dans chaque menu, avec un descriptif et un visuel correspondant à la spécialité du pays : Bouillabaisse française pour les uns, Thai kaeng som pour les autres. Ou encore Poulet à l’estragon versus Green curry chicken ; etc.
En plus de l’effet de l’origine de la spécialité culinaire, les chercheurs ont voulu tester l’effet de l’authenticité perçue, définie comme le degré auquel la spécialité est considérée comme représentative de la cuisine dont elle est issue. L’intitulé des plats (« Gaeng keow wan de Thaïlande centrale »), la présentation du parcours du chef du restaurant (ex. « 20 ans d’expérience comme chef dans le Sud-Ouest de la France ») ou encore les avis (fictifs) laissés par de précédents clients (« Pas le restaurant le plus authentique du coin ») permettaient de manipuler l’impression d’authenticité.
Le pays d’origine influence la valeur monétaire accordée au plat
Qu’il s’agisse de la valeur estimée du plat, ou du prix que les participants étaient prêts à payer pour celui-ci, les résultats montrent qu’une plus grande valeur monétaire – de l’ordre de 4 à 5 dollars par plat en moyenne – était systématiquement attribuée aux plats présentés comme des spécialités françaises. Cet effet était plus marqué pour les plats principaux (10 dollars d’écart rapporté pour un même steak !) que pour les entrées ou les desserts.
Quant à l’authenticité perçue, elle modifiait peu la valeur monétaire attribuée aux plats, et n’amplifiait pas la différence de valeur monétaire entre spécialités françaises et thaïlandaises. Toutefois, plusieurs résultats suggèrent que l’authenticité venait renforcer d’autres représentations de la cuisine/restauration française (degré de savoir-faire, sophistication), mais pas de la cuisine thaïlandaise.
Ces résultats montrent que la valeur attribuée aux différentes cuisines et le prix que les consommateurs sont prêts à payer pour celles-ci ne reposent pas uniquement sur des caractéristiques objectives (ex. qualité des produits) mais révèlent une « hiérarchisation des cuisines », reflet de représentations sociales préexistantes. Loin d’endosser une telle hiérarchie – ici démontrée sur un échantillon restreint de consommateurs américains mais qui pourrait varier selon les pays–, les chercheurs souhaitent surtout questionner l’origine de ces stéréotypes. En outre, ils soulignent que les conséquences de la différence de valeur attribuée aux différentes cuisines en situation réelle restent difficilement prévisibles : elles pourraient tout aussi bien profiter aux établissements servant des spécialités « valorisées » dans l’esprit des consommateurs, en les facturant plus cher… que détourner la clientèle en quête de cuisine bon marché.