Avril 2024
Pour passer du jus sucré de la betterave au cristal de sucre, il faut concentrer le jus en évaporant l’eau qu’il contient. Cette étape est centrale car elle alimente aussi la sucrerie en « vapeur énergie » et en eaux directement utilisables. Suivez la boucle.
Comment obtenir jusqu’à 70 Brix ?
Elle forme les nuages, sèche les vêtements mouillés et réduit les sauces pendant que les plats mijotent... L’évaporation est un phénomène familier. Ce processus par lequel un élément liquide passe à l’état gazeux lorsque ses molécules reçoivent une énergie fait que l’eau se transforme en vapeur d’eau sous l’effet de la chaleur. L’industrie sucrière en a fait une véritable ressource énergétique qu’elle valorise à différents niveaux.
Lors de l’extraction du sucre de betterave, la phase d’évaporation intervient entre les deux étapes emblématiques du procédé sucrier : la diffusion du sucre contenu dans les racines de betterave dans l’eau, puis la cristallisation où se forment les cristaux de sucre. Le jus sucré issu de la diffusion est tout d’abord filtré puis acheminé vers l’atelier évaporation. Ici, le premier objectif est de concentrer les matières sèches présentes dans le jus en éliminant un maximum d’eau.
Ces matières sèches sont principalement du sucre ainsi que quelques composants résiduels appelés « non-sucres ». Le taux de matières sèches présentes dans un liquide est mesuré par une unité dédiée : le degré Brix*. Autrement dit, plus le Brix d’une solution est élevé, plus celle-ci contient de sucre. Exemple ? Lorsque le jus épuré arrive dans l’atelier évaporation, il affiche 14 à 18 Brix (selon la richesse en sucre des betteraves mises en œuvre). Il en ressortira sous forme d’un sirop dont la concentration varie de 65 à 70 Brix.
Une vapeur créatrice de vapeur
L’opération s’effectue dans une succession d’imposants chaudrons (caisses d’évaporation) chauffés par de la vapeur sous pression et reliés en série, d’où le nom d’évaporateur « à multiples effets ». L’atelier peut aligner 4 à 6 caisses d’évaporation selon la capacité de production de la sucrerie. Le jus sucré y est porté à ébullition et se concentre progressivement en passant d’un évaporateur au suivant.
La vapeur d’ébullition est récupérée au niveau de chaque caisse d’évaporation, soit pour alimenter d’autres caisses soit pour être dirigée vers d’autres activités de la sucrerie utilisatrices de vapeur : cristallisation, chauffage des jus, chauffage du site... Ce cycle est d’autant plus vertueux qu’il présente un excellent bilan. « Chaque tonne de vapeur de chauffage introduite évapore en théorie une tonne d’eau, confirme Jérémy Quebaud, directeur de la sucrerie Lesaffre Frères de Nangis (Seine-et-Marne). Mais la succession d’effets nous permet d’évaporer une quantité de vapeur supérieure à la quantité de vapeur entrée. De plus, toute cette vapeur travaille plusieurs fois, pour l’évaporation et pour toute l’usine ! »
Quand la vapeur devient eau
Autre avantage, une partie de la vapeur est condensée en eaux chaudes appelées « condensats d’évaporation », qui sont intégralement récupérés et affectés à des utilisations spécifiques. Une ressource en eau loin d’être négligeable, comme en témoigne le débit de 260 t/h affiché pour l’exemple précité. « Les condensats n’ont pas les mêmes caractéristiques selon les étapes où on les recueille, ce qui détermine leur réutilisation, précise Jérémy Quebaud. Mais, dans tous les cas, ce sont des eaux parfaitement propres et d’une qualité sanitaire irréprochable. » Les condensats repartent dans le procédé sucrier pour transmettre leurs calories (extraction, réchauffage des jus et sirops) ou encore pour servir de dernière eau de lavage des betteraves avant découpe. Ils contribuent ainsi aux économies d’énergie du site et à son autosuffisance en eau. (Voir à ce sujet notre article sur l’économie circulaire de l’eau en sucrerie.)
Que ce soit sous forme de vapeur ou d’eau condensée, les ressources issues de l’évaporation nécessitent une vigilance soutenue, impliquant d’agir en temps réel sur des paramètres complexes et interdépendants : débit des flux (jus, vapeur, eaux), contrôle du Brix, maîtrise des écarts de pression et de température... « Nous cherchons en permanence le schéma qui minimise la consommation de combustible fossile et qui optimise les quantités de vapeur produites, conclut Jérémy Quebaud. Car le poste évaporation est le réel répartiteur de l’énergie dans l’usine. »
*Un degré Brix est équivalent à une teneur de 1g de sucre pour 100 g de liquide. L’échelle Brix est très utilisée en industrie alimentaire.
Parlons technique...
- L’évaporation en sucrerie repose sur la thermodynamique, qui fait interagir température, pression et volume impliquant les changements d’état (liquide/gazeux) de l’eau contenue dans le jus de diffusion.
- La performance d’un dispositif d’évaporation ne se mesure pas aux quantités de jus traités mais aux débits que l’on atteint à chaque étape de la concentration. Le principe consiste à utiliser plusieurs fois en cascade une même tonne de vapeur générée par la chaudière de la sucrerie : une fois pour générer de l’électricité par détente dans une turbine de cogénération et ensuite autant de fois qu’il y a d’effets d’évaporation pour évaporer l’eau du jus de diffusion. Avec une tonne de vapeur entrant dans le premier effet, on peut donc évaporer autant de tonnes d’eau qu’il y a d’effets d’évaporation. Cette tonne de vapeur va permettre de concentrer le jus entrant (à faible teneur en sucre) en évaporant le plus possible d’eau jusqu’à obtenir un sirop sortant (à forte teneur en sucre).
- Par exemple, pour la sucrerie de Nangis, un débit de 50 tonnes/heure (t/h) de vapeur à 133° C et à 3 bars de pression délivré par la chaudière permet de concentrer un « débit jus » (à 14-18 Brix) de 350 t/h à l’entrée en un « débit sirop » (à 65 Brix) de 91 t/h à la sortie, sachant que le débit diminue naturellement de caisse en caisse au fur et à mesure que le jus perd son eau par évaporation.