Octobre 2024
Réalisée en 2022/2023, l’Observatoire des comportements et goûts sucrés livre les résultats de sa première étude exploratoire. Si celle-ci confirme une certaine idée de l’alimentation « à la française », elle apporte par ailleurs un éclairage inédit sur les enjeux de l’éducation sensorielle et les déterminants du plaisir alimentaire. Ses résultats ont fait l’objet d’une conférence, faisant appel à deux spécialistes complémentaires, Nathalie Politzer et Anahita Mohtadji, afin de commenter ces premiers travaux via leurs expertises respectives.
La structure du repas à la française
Dans une première partie, Pascale Hébel, directrice associée à l’institut de sondage C-Ways et Emmanuelle Lefranc docteure en Sciences sociales appliquées à la Santé et à l’Alimentation ont présenté cette première étude qualitative.
La méthode est basée sur une série d’entretiens au sein de trois groupes de 24 participants répartis en deux tranches d’âge (18-30 ans et plus de 30 ans), deux catégories socioprofessionnelles (ouvriers-employés, professions intermédiaires) et deux agglomérations (Paris, Lille).
La journée alimentaire reste structurée autour de repas à des moments définis et de rendez-vous qui ponctuent les semaines (ex : brunchs, soirée pizza…). Le ‘manger ensemble’ à la française est toujours bien ancré dans les pratiques avec de nouvelles formes de commensalité qui s’esquissent chez les plus jeunes.
Des repères solides mais des difficultés à exprimer les sensations gustatives
Les entretiens avec les participants ont confirmé la pérennité de la culture culinaire à la française, déjà maintes fois observée par les sociologues de l’alimentation. Ainsi, l’attachement à la structure des repas, à la temporalité (rythmes, horaires, temps passé à table) et à la commensalité (plaisir et convivialité du repas partagé) reste le pilier d’une « grammaire alimentaire » qui transcende les âges et les profils de mangeurs.
En revanche, les choses se compliquent lorsqu’il s’agit de verbaliser les perceptions. Les sensations gustatives sont décrites avec un vocabulaire limité (sucré, salé, gras, sans goût…) et la dimension sensorielle se révèle, dans bien des cas, difficile à exprimer.
Ce constat révèle un espace de connaissances laissé en jachère par les études et souligne toute l’importance de l’éducation au goût. En tant que spécialiste de la question, Nathalie Politzer, directrice de l’Institut du Goût estime que « la verbalisation est une composante centrale de l’éducation au goût qui permet d’élargir le répertoire des aliments appréciés. Ce qui a un impact positif sur les comportements alimentaires, notamment en augmentant les consommations de fruits et légumes. »
Autrement dit, se familiariser avec le vocabulaire du goût en même temps que découvrir de nouveaux aliments contribue pleinement à l’apprentissage du plaisir de manger sainement. On notera toutefois que le goût sucré semble tirer plus facilement son épingle du jeu. Enfin, chez les participants de l’étude, il est le goût est le plus facilement évoqué, tout particulièrement en termes de plaisir, de douceur et de réconfort. Autre signe particulier, il est aussi le seul à être associé à une catégorie d’aliments identifiés par leur goût : les « produits sucrés » (desserts, biscuits, confiseries…).
Des rituels pour concilier plaisir et santé
Enfin, cette étude qualitative constate que les rituels entretiennent une forme de relation inattendue avec le paradigme du plaisir. En effet, si on sait que le repas (qui est un rituel en soi) est un facteur de plaisir procuré par la convivialité et le partage, la ritualisation des prises alimentaires peut également intervenir comme un outil de légitimation du plaisir.
D’après la diététicienne et praticienne hospitalière Anahita Mohtadji Ce constat offre des perspectives intéressantes dans la prise en charge de certains phénomènes comme la restriction cognitive, qui consiste à contrôler son alimentation de manière obsessionnelle. D’après elle, « La restriction cognitive est à l’origine de troubles du comportement alimentaire, favorise la distinction entre "bons" et "mauvais" aliments et génère de la culpabilité lorsque la personne consomme un aliment "interdit". La relation au goût et à la sensorialité est un outil important pour accompagner ces patients. Nous les invitons à déguster et à évaluer le plaisir ressenti à chaque bouchée. Écouter ses sensations et faire confiance à son plaisir alimentaire contribue à retrouver une relation apaisée à l’alimentation et notamment au goût sucré. »
L’introduction de rituels pourrait ainsi s’intégrer dans les démarches visant à dédramatiser l’acte alimentaire et, de manière plus large, permettre à tout un chacun d’accorder des objectifs de santé au plaisir de manger. C’est en tout cas une des pistes de réflexions qu’ouvre cette première étude exploratoire proposée par l’Observatoire des comportements et goûts sucrés. Des travaux à plus large échelle permettront d’aller plus loin dans la compréhension du « pourquoi les gens consomment du sucré » et dans quelle mesure ces motivations modifient – ou pas – leurs habitudes et comportements alimentaires. À suivre.
Les résultats ont été diffusés le 28 mars 2023 dans la cadre d’un Workshop organisé en partenariat avec la Société Française de Nutrition (SFN). Ainsi que le souligne Philippe Reiser, directeur général de Cultures Sucre, « la mission de l’Observatoire des comportements et goûts sucrés est d’explorer la question des goûts sucrés d’une manière plus holistique, prenant en compte l’individu, ses motivations et ses représentations, en complément des approches existantes. L’objectif est aussi de participer à la diffusion de ce contenu scientifique auprès des chercheurs, praticiens et experts concernés par les questions de santé et de nutrition. Il était donc important pour nous de partager ces premiers résultats avec les professionnels du réseau de la Société Française de Nutrition. » (L’atelier « Représentations et attitudes des Français face aux goûts sucrés » peut être visionné en intégralité.)
Voir l'infographie présentant les résultats