15 juin 2021
Remis à l’honneur pendant les périodes de confinement sanitaire, le « fait maison » est unanimement considéré comme un moyen efficace pour adopter des comportements alimentaires favorables à la santé. Pour le bien-être au quotidien, mais aussi dans le cadre de certaines pathologies où cuisiner soi-même peut devenir un outil thérapeutique à part entière.
Un pilier du modèle alimentaire français
La cuisine « maison » fait partie des recommandations officielles du Programme national de l’alimentation et de la nutrition, qui place cette pratique aux côtés de fondamentaux tels que la lutte contre la sédentarité ou la consommation de fruits, de légumes et d’aliments riches en fibres. Ses bénéfices attendus touchent à deux enjeux importants : le profil des aliments consommés et la maîtrise des quantités. « La pratique culinaire donne au consommateur un outil de maîtrise de son alimentation, confirme le docteur Dominique-Adèle Cassuto, endocrinologue et médecin nutritionniste. D’une part, au niveau du choix des ingrédients, par rapport aux aliments préparés et/ou ultra transformés, mais aussi au niveau des quantités, avec la possibilité de moduler les portions en fonction des besoins de chacun. »
Les avantages en sont multiples. Savoir ce que l’on met dans une recette et avoir la certitude que la préparation ne contiendra pas d’additifs contribuent à lever certaines formes d’anxiété vis-à-vis de l’alimentation. Par ailleurs, qui dit « fait maison » dit « satisfaction des sens et commensalité », soit le plaisir de partager un repas entre convives. Basé sur des rituels codifiés, ce modèle culturel et culinaire associé au modèle alimentaire français qui privilégie le repas à table est reconnu pour sa capacité à assurer l’équilibre alimentaire au sein des foyers et à favoriser des comportements alimentaires favorables à la santé.
7 conseils pour pleinement tirer parti du fait maison
- Définir des menus à l’avance
- Varier les ingrédients et les recettes
- Ne pas hésiter à expérimenter en créant ou en adaptant des recettes
- Faire ses courses avec une liste
- Peser les ingrédients lors de la mise en œuvre
- Préparer la juste quantité et servir des portions adaptées à chaque membre de la famille
- Faire participer les membres de la famille à la confection du repas
Des ateliers de cuisine pour aider les malades du cancer
« Il m’arrive souvent de prescrire à mes patients une recette, un livre de recettes ou une appli numérique utile au plan alimentaire plutôt qu’un médicament ! », note le docteur Cassuto en évoquant la capacité du fait maison à faire évoluer de manière positive les habitudes alimentaires. Mais ses bénéfices peuvent aller bien au-delà. Y compris dans la prise en charge de pathologies lourdes comme le cancer. Depuis 2010, une équipe de chercheurs de l’Institut UniLasalle de Beauvais (Oise) a mis en place au sein d’établissements de santé des ateliers de pratique culinaire baptisés « Vite fait-Bienfaits ». La démarche est également relayée sur un site Internet dédié (cliquer ici). Les recettes sont créés et testées par des patients atteints de cancer et formant des groupes de patients experts.
« L’alimentation joue un rôle majeur dans la prise en charge des personnes souffrant d’une pathologie cancéreuse, particulièrement en ce qui concerne la réponse aux traitements et la prévention du risque de récidive, explique Philippe Pouillart, docteur en immuno-pharmacologie, enseignant-chercheur et responsable du projet. Or, la nutrition est souvent une faille dans le parcours de soins des malades : 40 % sont dénutris, et 25 % des décès sont liés aux problèmes de dénutrition. Les ateliers culinaires apportent une réponse concrète dont on a pu mesurer toute l’efficacité. »
Alors que les symptômes de la maladie éloignent le patient de l’acte alimentaire, pour lui-même et sa famille, ces ateliers aident le patient à se réapproprier l’espace de la cuisine, à renouer avec le plaisir de manger et de partager un repas avec ses proches. C’est en se basant sur cette expérience que la cheffe pâtissière Sandrine Baumann-Hautin a eu l’idée de créer des « Ateliers de pâtisserie-desserts soins de support en oncologie ». Son approche consiste à mettre en avant une famille clé de nutriments : les sucres.
Le sucré comme ingrédient de soins de support
« Le sucré est un facteur important de l’équilibre alimentaire pendant et après la maladie, rappelle-t-elle. On entend trop souvent dire qu’il ne faut pas manger de sucres quand on est atteint d’une pathologie cancéreuse, or aucun argument scientifique ne soutient la thèse de certains détracteurs qui affirment que les sucres vont "nourrir" la tumeur. » Ce que Philippe Pouillart confirme : « pendant le cancer, les régimes sans sucres sont une hérésie. Sans glucides, l’organisme ne peut mobiliser suffisamment son système immunitaire et ses fonctions vitales pour se défendre efficacement contre le développement de la maladie. La pâtisserie permet précisément de redonner toute sa légitimité au sucre et de lever les appréhensions contre-productives des patients. »
Basés sur des travaux scientifiques2 et dispensés en établissements de santé, ces ateliers apprennent aux malades à réaliser des recettes de pâtisseries adaptées à leurs symptômes et aux effets secondaires des traitements. Outre la dimension plaisir, le sucré est utilisé pour intégrer des ingrédients intéressants, notamment des herbes et épices, qui contribuent à atténuer les impacts de la maladie ou des traitements. « Par exemple, la menthe poivrée et le gingembre permettent de lutter contre les nausées et la cardamome contre les douleurs intestinales, cite Philippe Pouillart.
La pâtisserie sur le divan
Les ateliers de cuisine et de pâtisserie sont aussi utilisés par les professionnels de la santé mentale. Ainsi, la cuisine en tant qu’occupation est un instrument d’apprentissage cognitif mis à profit par la chercheuse Cata Brown, professeure à l’université de Midwestern (USA) : « les patients qui souffrent de schizophrénie ou de dépression peuvent avoir des problèmes d’attention, de mémoire ou de fonctions exécutives. Suivre une recette étape par étape améliore les capacités de concentration et aide les personnes à faire les choses dans le bon ordre. »3
Là encore, la pâtisserie semble être un champ d’expérimentation pour apprendre à prendre soin de sa santé mentale. « Toute la science derrière la pâtisserie est captivante et focalise mon attention : le niveau de précision requis me force à rester concentrée et m'empêche de m'inquiéter », témoigne l’anglaise Valerie Van Galder qui, à partir de son expérience personnelle, a créé le Depressed Cake Shop, dont la vocation est de mobiliser des patients pour confectionner et vendre des pâtisseries au profit d’associations de santé mentale.
Cuisiner est un acte d’amour et un levier d’émancipation
En France, l’art-thérapeute Emmanuelle Turquet a développé une méthode qu’elle met en œuvre à travers les ateliers Cuisine Thérapieã. Tout comme l’art-thérapie mobilise la musique, la sculpture, la danse ou la peinture à des fins psychothérapeutiques, la cuisine en est le média. Cette spécialiste des pratiques thérapeutiques propose une approche basée sur la créativité et l’improvisation : « lorsqu’elle est pratiquée de façon intuitive et sans recherche de résultat, la cuisine permet d’oser faire différemment, de décrypter ses croyances et ses modes de fonctionnement, de dépasser des blocages et de mieux se connaître pour réinventer sa vie sans recette ! »4
Particulièrement adaptée aux personnes en manque de confiance en soi ou confrontées à des crises et accidents de la vie, la cuisine-thérapie trouve également sa place dans des parcours de soins spécifiques : toxicomanie, maladie d’Alzheimer, troubles du comportement alimentaire... Comme le souligne Emmanuelle Turquet, « la pratique culinaire aide les personnes à se reconnecter à leurs émotions à travers la stimulation des cinq sens, et cela sans injonctions diététiques ni interdits. Cette prise de conscience par le corps donne des résultats puissants et durables. Enfin, il ne faut pas oublier que cuisiner est aussi un acte d’amour. C’est un langage dans lequel on fait passer beaucoup de choses aux autres et par lequel on trouve sa place dans le groupe. »
1. Lancé en septembre 2019, le Programme national de l’alimentation et de la nutrition (PNAN) regroupe le Programme national nutrition santé (PNNS) et le Plan national de l’alimentation (PNA). Il fixe le cap de la politique de l'alimentation et de la nutrition de la France pour les cinq années à venir.
2. Plate-forme « Pratique culinaire et santé », UniLasalle.
3. Source : Cuisiner peut-être aussi efficace qu’une séance de méditation, Marie Telling, Slate.fr, 3 février 2020
4. Source : Cultures Sucre, Grain de sucre, n°51, octobre 2020