Le commerce du sucre se répand dans l'Occident chrétien, à la faveur des échanges commerciaux. Deux villes très actives en Europe vont faire beaucoup pour la promotion du sucre, qui le leur rendra bien: Venise au Sud, Bruges au Nord.
Le monopole vénitien
Venise se fournit auprès des marchands arabes d’Alexandrie. Mais elle profite également de l’installation en Terre Sainte au XIIe siècle des Croisés, dont certains sont devenus planteurs. Ceux-ci poursuivent leur activité à Chypre où ils se replient après la chute du Royaume de Jérusalem.
La Cité des Doges, capitaux, flotte maritime et diplomates à l’appui, préserve ses liens privilégiés et s’assure ainsi le quasi-monopole du commerce du sucre, en dépit de la concurrence de Gênes et de Pise.
Au XIIIe siècle, les techniques bancaires se mettent en place. Billets à ordre, contrats de change..., c’est l’âge d’or pour Venise qui compte alors 100 000 habitants. Luxe, prodigalité, soieries, pierreries étincelantes, musique, théâtre,..., les fêtes vénitiennes sont célèbres dans toute l’Europe. Les banquets et festins n’ont pas leur pareil : pour l’élection du Doge, le pain est doré à l’or fin de même que les huîtres ou les bougies, les invités repartent avec un petit panier garni de pots de confitures et de fleurs.
Sucre royal
Le sucre restera un symbole du luxe et des fastes de Venise. C’est ainsi qu’en 1574, Henri III, roi de France, séjourne quelques jours au palais Foscari sur le Grand Canal et se voit offrir un déjeuner uniquement composé de sucre : "Les nappes, les serviettes, les assiettes, les couverts, le pain étaient de sucre, d’une imitation si parfaite, que le roi demeura agréablement surpris, lorsque la serviette, qu’il croyait de toile, se rompit entre ses mains.
Dans la salle du scrutin avaient été préparées deux tables chargées de compositions et de figures de sucre. Le plat posé devant Henri représentait une reine assise sur deux tigres, dont le poitrail montrait les armes de France et de Pologne. Sur les autres tables se dressaient des figures éparses de chevaux, d’arbres, de vaisseaux... Les plats furent au nombre de 1 260 et 300 les objets de sucre distribués aux dames".
Bruges, la Venise du Nord
Point de redistribution des épices et notamment du sucre en provenance de Méditerranée, Bruges connaît aussi la gloire et la richesse entre le XIIIe et le XVe siècle. Carrefour commercial entre le Nord et le Sud, les marchands y affluent de toute l’Europe : Allemands, Italiens, Espagnols, Portugais. Ils sont regroupés en “nations” qui chacune dispose d’une “maison” qui sert d’hôtellerie, de lieu de réunions, de consulat.
Les bateaux étrangers arrivent à Bruges par des canaux construits dès le XIIe siècle. Les marchandises sont ensuite revendues dans toute l’Europe du Nord et de l’Est. Pour diminuer les coûts, la Venise du Nord comme on la surnomme crée des raffineries. En 1450, un maçon anversois doit travailler deux jours pour se payer un pain de sucre, vers 1600, seul un jour suffit.
Folie des grandeurs
Signe extérieur de richesse au même titre que les épices, le sucre orne les tables princières. Ainsi d’un festin en l’honneur de Philippe le Bon en 1454 à Saint-Omer : outre les 1 600 porcs à rôtir, les 600 perdrix, les 1 400 lapins et les 600 hérons, il est fait mention de 6 chevaux chargés de sucreries et d’une abondance de friandises.
Un siècle et demi plus tard, la ville d’Amsterdam prendra un arrêté interdisant d’imiter "en pâtés, tartes et sucreries, toutes sortes de fruits, animaux et autres créatures de Dieu, garnis et ornés de plumes, d’or et d’ornements inutiles". Elle interdira aux pharmaciens, pâtissiers, boulangers ou quiconque fabriquant des aliments en sucre de garnir ces pièces de fleurs, d’or, de statuettes de pierre et autres ornements.
Le déclin
Le déclin s’amorce à partir de 1450 : les accès au port de Bruges s’ensablent, des guerres éclatent et les marchands vénitiens, génois, florentins, allemands migrent à Anvers, toute proche. C’est désormais cette cité qui va dominer le commerce du sucre mondial. C’est également la fin de la toute puissance de Venise.
À la fin du XVe siècle, Priuli, marchand vénitien, raconte son désespoir de voir des caravelles portugaises débarquer du sucre de Madère à Anvers : le sucre de l’Atlantique va définitivement supplanter le sucre de la Méditerranée.