Avril 2023
Les épisodes de ‘Binge eating’ – ces crises d’hyperphagie compulsive – sont généralement considérés soit comme une réponse compensatoire suite à une période de restriction alimentaire, soit comme une façon de réguler ses émotions. Pour autant, de nombreuses données pointent d’autres raisons invoquées par les individus sujets à ce trouble du comportement alimentaire (TCA). D’où cette étude qui a cherché à identifier l’ensemble des « fonctions » que le binge eating est susceptible de remplir (régulation des émotions, faim hédonique, contrôle, punition…), et à développer une échelle permettant de mesurer l’importance relative de chacune.
À la recherche des autres fonctions du binge eating
À partir d’une recherche dans la littérature, et avec l’appui d’experts du domaine des TCA, les chercheurs ont élaboré une liste de 46 assertions sur le binge eating (ex : Quand je mange frénétiquement, … je mange pour ressentir du plaisir/je m’échappe de la réalité/je reprends le contrôle sur ma vie…).
Cette liste a alors été soumise à 882 adultes (majoritairement des femmes, 77 % de l’échantillon) rapportant des symptômes de binge eating, dans un sondage en ligne. Les sujets devaient noter à quel point chaque assertion était vraie pour eux.
Des techniques spécifiques de classement statistique – à savoir, des analyses factorielles exploratoires et confirmatoires – ont été appliquées pour déterminer le nombre optimal d’assertions et de fonctions remplies par le binge eating (assertions validées par les réponses des participants, regroupements potentiels...).
Huit grandes fonctions identifiées
In fine, ces modélisations ont permis aux chercheurs de mettre en évidence huit grandes fonctions du binge eating, qui peuvent être mesurées à l’aide de 36 assertions retenues, constituant ainsi la première échelle des fonctions du binge eating (FBES, Figure 1) :
- La régulation émotionnelle (ex : Quand je mange frénétiquement, je réduis mon anxiété, ma solitude, ma frustration, ma colère, ou d’autres émotions), déclarée par 79 % des sujets dont le binge eating est objectivé [1] (sujets dits BED, pour Binge eating disorder) ;
- L’envie de manger par anticipation du plaisir (ex : Quand je m’adonne au binge eating, je continue à manger au-delà du rassasiement parce que ce que je mange est tellement bon), déclarée par 74 % des sujets BED ;
- La compensation suite à une période de restriction alimentaire (ex : Lors d’une crise d’hyperphagie, je succombe à la tentation d’aliments que j’avais restreints), déclarée par 64 % des sujets BED ;
- La dissociation / anesthésie ou déconnection émotionnelle (ex : Quand je mange frénétiquement, je me sens détaché de mon corps), déclarée par 55 % des sujets BED ;
- L’expression des émotions (ex : Quand je m’adonne au binge eating, cela reflète mon état intérieur), déclarée par 37 % des sujets BED ;
- La punition de soi (ex : Quand je suis en crise d’hyperphagie compulsive, j’exprime la colère que je ressens vis-à-vis de moi-même), déclarée par 45 % des sujets BED ;
- Le contrôle (ex : Quand je m’adonne au binge eating, je me rebelle vis-à-vis de ceux qui essaient de me contrôler), déclarée par 7 % des sujets BED ;
- La protection de soi (ex : Quand je mange frénétiquement, je cherche à gagner du poids pour ne plus être une victime), déclarée par 6 % des sujets BED.
Des liens avec les expériences traumatiques de l’enfance ?
Enfin, les chercheurs ont mis en relation les différentes fonctions du binge eating avec les expériences traumatiques vécues pendant l’enfance (ACE pour adverse childhood experiences) : la présence d’une maladie mentale dans le foyer allait de pair avec des scores élevés de binge eating pour exprimer ou réguler ses émotions ; être victime de négligence émotionnelle pendant l’enfance prédisait le recours au binge eating dans une logique de dissociation émotionnelle et de punition de soi ; et la maltraitance physique et les abus sexuels pendant l’enfance étaient associés à la recherche de contrôle ou de protection à travers les comportements de binge eating. Ainsi, bien que le binge eating soit généralement attribué à des fonctions de régulation émotionnelle ou de compensation alimentaire, il existe en réalité une palette de fonctions bien plus large derrière ce TCA, qui pourraient représenter des mécanismes de défense mis en place en réponse à certaines expériences traumatiques vécues pendant l’enfance. Ces résultats sont jugés cruciaux pour un meilleur accompagnement des personnes en cas de binge eating.
Figure 1 : Construction de l’échelle des fonctions du binge eating
Les raisons invoquées derrière les comportements de binge eating relèveraient de 8 grandes fonctions.
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[1] Binge eating objectivé chez n = 260 sujets dans l’étude, à partir de la définition suivante : (a) ≥ quatre épisodes d’hyperphagie compulsive objective accompagnés d'un sentiment de perte de contrôle au cours des 28 derniers jours, et (b) aucun comportement compensatoire inapproprié (par exemple, purge, jeûne, exercice excessif).