Juin 2024
Depuis le 4 avril 2024, le Syndicat national des producteurs d’alcool agricole (SNPAA) a pris le nom de Bioéthanol France. Son secrétaire général, Sylvain Demoures, dévoile les coulisses d’un changement d’identité qui souligne la dimension stratégique de l’éthanol « made in France ».
Quelles sont les raisons de ce changement de nom ?
Le décision prise par les producteurs français d’alcool agricole réunis au sein de Bioéthanol France répond à un double objectif : moderniser, rendre plus lisible et plus explicite l’identité de cet organisme professionnel créé en 1989. Il est clair que l’acronyme est peu évocateur et, surtout, sa version développée – Syndicat national des producteurs d’alcool agricole – ne contient pas le mot « France », ce qui constitue un handicap à l’heure où la souveraineté est devenue un enjeu de premier plan. En réunion, en France comme à l’international, nous étions obligés de préciser que nous représentions les producteurs français de bioéthanol, ce qui n’est désormais plus nécessaire.
Justement, l’intitulé ne risque-t-il pas de réduire les débouchés au bioéthanol ?
L’étymologie du mot « bioéthanol » associe l’alcool éthylique à la notion de biomasse (en France betterave à sucre, blé et maïs) qui en caractérise l’origine. A l’international, le mot « éthanol » recouvre tous les débouchés, ceux de l’alcool traditionnel (gels hydroalcoolique, boissons, parfums, chimie…) tout comme celui des biocarburants. La montée en puissance du bioéthanol-carburant en fait un débouché emblématique : c’est donc un puissant levier d’identité. De plus, le nouveau logo intègre le signe de l’infini qui suggère de manière symbolique la grande diversité des applications de l’éthanol. Il évoque aussi la dimension éco-circulaire de cette filière agroindustrielle qui capte le CO2 de l’air (grâce à la photosynthèse chlorophyllienne des plantes) et, par la fermentation alcoolique, transforme les sucres ou l’amidon produit par ces plantes en éthanol et en CO2 biogénique récupérable, tout en restituant les autres composantes pour l’alimentation animale (pulpes de betterave riches en cellulose et drêches de céréales riches en protéines). Le CO2 initialement capté sera donc pour partie récupéré ou consommé dans l’alimentation, et pour partie rendu à l’atmosphère lors de la combustion du bioéthanol dans le moteur des véhicules essence fonctionnant au Superéthanol-E85.*
Quel sens donnez-vous à l’expression « activer les synergies du végétal » ?
C’est la signature que nous avons choisie pour accompagner notre nouvelle identité. Elle traduit l’évolution de la stratégie et des actions du syndicat, en premier lieu pour faire reconnaître définitivement les synergies entre les valorisations alimentaires et non alimentaires de la biomasse produite en France et transformée dans des sucreries, des amidonneries et des distilleries pures. Ensuite, notre ambition est de rendre ces synergies encore plus opérationnelles, notamment à travers l’optimisation de nos process et le développement de nouveaux débouchés au bénéfice de l’indépendance énergétique, des enjeux climatiques et de la sécurité alimentaire, en rappelant le rôle de réserve ultime que peut constituer une partie de nos matières premières en cas de crise aigüe. Activer et développer ces synergies implique d’intensifier la collaboration avec nos partenaires (agriculteurs, industriels, distributeurs de carburants, monde de l’automobile, de l’aviation et de la chimie...) qui ont tous un rôle à jouer et des opportunités à saisir dans cette dynamique de progrès.
De manière concrète, quelles avancées envisagez-vous à court et moyen terme ?
La mise au point d’un Superéthanol-E85 100 % renouvelable représente une avancée majeure qui est aujourd’hui à portée de main. En effet, il y a peu de temps encore, on pensait qu’il faudrait attendre l’arrivée des carburants de synthèse pour remplacer la part d’essence standard contenue dans l’E85. Or, la technologie « HVO » (huiles végétales hydrotraitées), produisant essentiellement des gazoles et des carburants pour aviation, redistribue complètement les cartes. Elle génère inévitablement une part significative d’un coproduit appelé « bionaphta » dont la structure chimique est proche de l’essence mais qui a l’avantage d’être d’origine renouvelable. En revanche, ce produit a l’inconvénient d’avoir, en l’état, un faible taux d’octane qui ne lui permettrait pas, à lui seul, de faire fonctionner un moteur. Cette faiblesse peut être compensée par le bioéthanol qui possède, quant à lui, un fort taux d’octane (supérieur à l’essence). Ainsi, un Superéthanol-E85 associant bioéthanol et bionaphta devient un carburant 100 % renouvelable et « neutre en carbone », au sens de la règlementation européenne, puisque tout le CO2 qu’il dégage lors de sa combustion vient de l’air. Voilà un exemple de synergie du végétal que nous sommes prêts à activer !
D’autres exemples ?
Ils ne manquent pas. L’éthanol est une « molécule plateforme » aux multiples applications, particulièrement dans la chimie du végétal. Par exemple, un partenariat entre Michelin et deux acteurs des technologies de l’énergie (Axens et IFPEN) a récemment débouché sur une production pilote de butadiène à partir d’éthanol biosourcé. Autre exemple, le procédé de fermentation alcoolique dégage du CO2 issu de la biomasse dont environ un tiers est déjà récupéré pour les bulles des boissons gazeuses. Ce qui reste disponible pourra entrer dans la fabrication des carburants de synthèse. Enfin, le bioéthanol permet aussi de produire des carburants durables pour l’aviation (technologie « Alcool to Jet »). Encore faut-il que le cadre réglementaire rende possible l’émergence des nouvelles filières de production.
Cela fait-il partie des défis que le bioéthanol doit aujourd’hui relever ?
C’est un sujet un peu technique à aborder ici, mais l’autorisation d’utiliser les biocarburants de première génération dans l’aviation est effectivement l’un de nos axes de travail prioritaires, tout en veillant à bien exclure ceux dont les types de matières premières génèrent directement de la déforestation. De même nous plaidons en faveur de l’inclusion des biocarburants durables dans la définition des carburants neutres en carbone qui, en combinaison avec l’électricité dans des véhicules hybrides et hybrides rechargeables, restent une voie incontournable pour contribuer à décarboner une partie des véhicules avec des batteries beaucoup plus petites que dans le 100 % électrique. De toute évidence, il existe de nombreuses raisons incitant à amplifier le rôle de l’éthanol dans les politiques en faveur de la décarbonation et de la souveraineté française et européenne, tant aux plans énergétique qu’alimentaire et sanitaire. Mais cela ne pourra véritablement se faire que dans le cadre d’un plan cohérent de long terme, favorable aux investissements, que nous appelons de nos vœux.
* Au niveau du bilan CO2 global, l’utilisation du bioéthanol produit dans l’UE permet de réduire en moyenne de 78 % les émissions de gaz à effet de serre par rapport à l’essence fossile. Source : ePure.