Choix
alimentaires : sommes-nous des mangeurs sous influences ?

Choix alimentaires : sommes-nous des mangeurs sous influences ?

Février 2023

Réseaux sociaux, incitations comportementales, accès à l’information… Au-delà des déterminants sociaux, familiaux et culturels, de nouveaux signaux sont apparus dans notre environnement alimentaire. Ont-ils le pouvoir d’influencer nos choix et nos comportements ? L’édition 2023 de la Journée Annuelle Benjamin Delessert apporte des éléments de réponse.

Le consommateur face à une infinité de choix

« Dîner seul c’est mener la vie d’un lion ou d’un loup » énonçait Épicure. Par cette formule imagée, le philosophe antique attirait l’attention sur la fonction du repas qui, chez l’Homme, est une pratique sociale partagée et organisée autour de rituels définis par la communauté humaine à laquelle on appartient. C’est ainsi que, par-delà les siècles et les civilisations, la « norme culturelle » a longtemps encadré la vie alimentaire des individus…. « Jusqu’au jour où « le mangeur est devenu un consommateur qui, selon la définition économique, est un individu ayant à faire des choix en fonction de ses préférences et des contraintes qu’il subit », remarque le sociologue Claude Fischler, spécialiste de l’alimentation et directeur de recherche au CNRS.

Entre la démultiplication des aspirations individuelles (bio, végétarien, végan, flexitarien, sans gluten et/ou lactose, local, équitable, labellisé…) et l’extension de l’offre de produits destinés à couvrir ces attentes, le consommateur n’a jamais été confronté à autant de choix. Si l’on y ajoute les injonctions et recommandations de toutes natures, l’abondance de déterminants forge un environnement vaste et atomisé où la « norme » n’a plus cours mais où les choix alimentaires sont de plus en plus difficiles à exercer.

Parallèlement, la notion de plaisir semble aussi avoir du mal à se frayer un chemin. En effet, des études ont constaté qu’un grand éventail de choix déclenche dans un premier temps une sensation de plaisir chez les consommateurs, puis cette sensation décline progressivement jusqu’à l’installation d’émotions négatives. « Trop de choix tue le plaisir du choix », résume Claude Fischler.

Des réseaux sociaux efficaces mais non sans risques

Partant de ce constat, la Journée Annuelle Benjamin Delessert*, lors de sa dernière édition, s’est penchée sur ce qui peut influencer les choix alimentaires du consommateur au 21e siècle, de manière positive ou négative. À cet égard, la sphère numérique présente des impacts contrastés. Comme le constate Pascale Ezan, Professeur à l’université du Havre, « les réseaux sociaux sont une source omniprésente pour s’informer sur l’alimentation équilibrée. Les influenceurs y sont devenus des "figures d’autorité" pour aborder les sujets "healthy" (pratiques touchant à la santé et au bien-être, ndlr). »

Une étude menée auprès de plus de 2 000 étudiants confirme que les réseaux sont des vecteurs plutôt efficaces pour faire adopter de nouvelles pratiques. Leur recette ? « Une communication interactive et horizontale où le ton humoristique et décalé s’oppose aux messages des instances et professionnels de santé. Les recommandations, souvent convergentes, sont perçues comme des expertises, et la dimension « coaching » (conseils personnalisés, soutien de la communauté…) agit comme un levier de motivation. »

En revanche, dans la plupart des cas observés, les contenus portent des représentations stéréotypées et des recommandations rarement fondées sur des compétences nutritionnelles. « Le désir de "minceur", la quête du "corps idéal" et le « moralisme alimentaire » sont souvent sous-jacents et associés à des objectifs de réduction calorique, voire d’effet "coupe-faim", relève Pascale Ezan. 82 % des repas que nous avons analysés étaient déséquilibrés. » Pour autant, l’idée de faire collaborer des professionnels de nutrition et des influenceurs commence à faire son chemin...

Combattre le poids des inégalités sociales

Un levier prometteur a récemment émergé. Il s’agit de la notion encore peu connue de « littératie », qui s’intéresse à la capacité de l’individu à accéder à l’information, la comprendre, se l’approprier et la communiquer autour de soi. Autrement dit, avoir les moyens d’être acteur de sa santé et d’influer positivement sur la santé de son entourage. « Une multitude de travaux ont établi les liens entre faible littératie et comportements défavorables à la santé, ce qui a un impact sur la santé physique, psychologique, sociale, mais aussi sur les coûts de santé, expose Julia Bardes, sociologue et spécialiste de santé publique (CDCR Île-de-France). En France, près de la moitié de nos concitoyens présentent un déficit de littératie en santé, sachant que les personnes avec un faible niveau d’éducation et de revenus sont les plus concernées. »

Dès lors, agir sur le niveau de littératie en santé permettrait d’améliorer l’état de santé des individus. Différents moyens peuvent être mis en place : dispositifs de médiation socio-nutritionnelle, programmes d’éducation, simplification des messages écrits et oraux, sensibilisation des professionnels de santé, etc. « Cette approche offre des perspectives prometteuses pour lutter contre les inégalités de santé... À condition de ne pas oublier les déterminants sociaux, économiques et culturels qui contribuent à améliorer les conditions de vie, notamment la possibilité d’accéder à une offre alimentaire favorable à la santé », conclut Julia Bardes.

Une autre manière d’amener les personnes à faire les bons choix alimentaires est de les orienter sans restreindre leur libre-arbitre ni recourir à des incitations financières. Cette approche fondée sur l’absence de contraintes est aujourd’hui connue sous le nom de « nudge ».

Une promesse sensorielle est plus efficace qu’une information rationnelle

« Changer la disposition d’un rayonnage de magasin est un nudge ; taxer les sodas ou interdire tel ou tel aliment n’en sont pas, résume Pierre Chandon, professeur de Marketing à l’INSEAD. Toute la question est de savoir si les nudges peuvent être un levier pour inciter à manger mieux… » Pour y répondre des études de grande ampleur ont été déployées là où les consommateurs font des choix alimentaires : dans les magasins et au restaurant. Différents types de nudges ont été expérimentés avec l’idée de tester les plus efficaces pour réduire l’apport alimentaire sur la journée. Première constat, les nudges cognitifs, c’est-à-dire purement informatifs (par exemple l’étiquetage nutritionnel) ont une faible efficacité pour éloigner les consommateurs des produits de moins bonne qualité nutritionnelle.

En revanche, les nudges affectifs qui jouent sur l’aspect sensoriel enregistrent d’excellentes performances. Une expérience menée avec l’Institut Paul Bocuse proposait aux convives un même menu mais avec des cartes rédigées différemment : un menu « standard » ; un « menu nutrition », assorti d’informations sur les calories et les pourcentages de nutriments ; un « menu épicurien », bardé de descriptions sensorielles (saveurs, arômes, textures). Verdict : « le menu sensoriel a le double avantage de réduire la consommation tout en augmentant la valeur de l’expérience, tandis que le menu nutrition diminue les deux paramètres, explique Pierre Chandon. Ainsi, vendre des "bons" produits en parlant de leur goût est plus efficace que de communiquer sur leur bénéfice santé. Concrètement, vanter des haricots riches en antioxydants fait baisser les ventes, alors qu’une mention du type "recette de ma grand-mère" les fait monter. »

Ces différentes études confirment que de nouvelles voies existent pour influencer nos choix et comportements alimentaires. Mais l’enseignement le plus précieux réside dans les leviers que les chercheurs ont identifiés pour faire pencher la balance du « bon côté ». Reste à les faire converger et à les mettre en œuvre à travers les politiques de santé publique.

 

* La Journée Annuelle Benjamin Delessert est un cycle de conférences consacrées aux avancées scientifiques en nutrition et destinée aux professions concernées. Elle est organisée par l’Institut Benjamin Delessert avec le soutien de l’interprofession sucrière.

×

Nous récoltons vos données

Nous stockons et accédons à des informations non sensibles sur votre appareil, comme des cookies ou l'identifiant unique de votre appareil, et traitons vos données à caractère personnel comme votre adresse IP ou un identifiant cookie, pour des traitements de données comme la mesure du nombre de visiteurs. Ces informations seront conservées 6 mois à des fins statistiques. Vous pouvez faire un choix ici et modifier vos préférences à tout moment sur notre page concernant les cookies accessibles depuis toutes les pages de ce site web. Aucun cookie ne sera déposé si vous décidez de remettre votre choix à plus tard.
Tout accepter Tout refuser
×

Paramétrer les cookies

Nous déposons des cookies et utilisons des informations non sensibles de votre appareil pour améliorer nos produits. Vous pouvez accepter ou refuser ces différentes opérations. Pour en savoir plus sur les cookies, les données que nous utilisons, les traitements que nous réalisons, vous pouvez consulter notre politique de confidentialité.

Cookies de fonctionnement

Garantissent le bon fonctionnement du site et permettent de mettre en œuvre les mesures de sécurité.

Durée de conservation : 6 mois

Liste des responsables : Cultures Sucre

Liste des destinataires : Cultures Sucre

Toujours actifs

Cookies de mesure d'audience

Cookies permettant d'obtenir les statistiques de fréquentation du site (nombre de visites, pages les plus visitées, …).

Durée de conservation : 6 mois

Liste des responsables : Cultures Sucre

Liste des destinataires : Cultures Sucre