Février 2025
Mesurer objectivement les réactions physiologiques de l’organisme face à des aliments plus ou moins appréciés : tel était l’objectif de cette étude menée en Russie auprès de 72 jeunes adultes (hommes et femmes, 25 ans en moyenne). Alors que les études sur le comportement alimentaire et le plaisir gustatif reposent souvent sur des mesures subjectives telles que des questionnaires – peu prédictives des comportements d’achat ou de sélection réels –, pour évaluer la perception des aliments, les chercheurs ont ici voulu explorer un ensemble des méthodes objectives, capables de mesurer les réactions implicites et non conscientes de l’organisme : expressions faciales, rythme cardiaque, sudation et activité cérébrale.
Les avantages de la fNIRS pour mesurer l’activité cérébrale
Les chercheurs ont accordé une attention toute particulière à la technique de spectroscopie fonctionnelle en proche infrarouge (fNIRS), qui permet de mesurer en temps réel l’activité cérébrale grâce aux variations de l'oxygénation sanguine [1].Cette méthode était déployée en parallèle d’outils utilisés plus classiquement dans le domaine des neurosciences :
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L’électromyographie faciale (EMG), pour détecter les micro-expressions musculaires.
- L’activité électrodermale (EDA), qui analyse l’activité des glandes sudoripares.
- La fréquence cardiaque (HR), qui mesure les variations du rythme cardiaque.
Le protocole expérimental incluait la dégustation de trois purées de fruits (sans sucres ajoutés) et trois purées de légumes (sans sel). Chaque produit était évalué par les participants sur une échelle de 7 points allant de « très désagréable » à « très agréable ». Comme attendu des chercheurs, les purées de fruits étaient notées comme plus plaisantes que les purées de légumes, permettant de distinguer deux types de stimuli : plaisant ou neutre. Une condition témoin sans stimulus gustatif (eau) était également présente.
À chaque technique, son apport - Une approche multidimensionnelle
Chacune des méthodes utilisées a permis d’apporter un éclairage sur les réponses physiologiques engendrées par l’exposition à ces stimuli.
- Activité cérébrale (fNIRS) :
Les purées de fruits, perçues comme « agréables », activaient le cortex insulaire enfoui au niveau du sillon latéral du cerveau [2], une région clé du traitement gustatif et émotionnel, notamment activée par les saveurs sucrées. Ces résultats corroborent un grand nombre d’études antérieures attribuant au cortex insulaire un rôle dans le plaisir ressenti – même si quelques-unes montrent que l'insula participe plutôt au traitement des saveurs neutres voire déplaisantes. Cela souligne la nécessité d'études complémentaires pour clarifier le rôle exact de cette région.
Les purées de légumes, considérées comme neutres, sollicitaient quant à elles le gyrus précentral droit, une région située à la surface du lobe frontal. Cette activation spécifiquement localisée à droite pourrait refléter une asymétrie cérébrale, l’hémisphère droit étant généralement associé aux émotions négatives et aux comportements d’évitement. Elle pourrait également traduire un effort de contrôle moteur, impliquant la collaboration entre le gyrus précentral droit et le cortex préfrontal voisin, pour coordonner l’acceptation de l’aliment en bouche.

Carte des activations cérébrales par les purées de fruits (stimulus « plaisant », image de gauche) dans le cortex insulaire et par les purées de légumes (stimulus neutre, image de droite) dans le gyrus précentral droit lors de la dégustation, via la méthode fNIRS.
- Activité musculaire faciale (EMG) :
Le muscle corrugateur (mouvement des sourcils) était plus actif lors de la dégustation des aliments neutres, traduisant une réaction négative ou d’indifférence. En revanche, le muscle zygomatique (mouvement des joues, associé au sourire) réagissait davantage aux aliments plaisants, reflétant des émotions positives.
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Réactions émotionnelles et autonomes (EDA et HR) :
Les réponses EDA (activité des glandes sudoripares) étaient plus marquées pour les aliments plaisants, témoignant d’une intensité émotionnelle supérieure.
La fréquence cardiaque (HR) augmentait face à tous les stimuli alimentaires (plaisants ou neutres) par rapport à la condition témoin (eau), indiquant une activation physiologique en réponse à la nourriture de manière générale.
Vers une compréhension globale des perceptions alimentaires
Ainsi, en combinant la fNIRS, l’EMG, l’EDA et la HR, cette étude met à profit la complémentarité de ces méthodes. La fNIRS témoigne de l’activité cérébrale, notamment dans l’insula et le gyrus précentral droit, respectivement en réponse aux saveurs plaisantes et neutres. L’EMG réagit à la valence gustative d’une saveur, c’est-à-dire à son caractère plus ou moins agréable. L’EDA et la HR répondent, quant à elles, à la présence et à l’intensité du stimulus gustatif.
Ces travaux ouvrent de nouvelles perspectives de recherche. Les études futures pourraient approfondir ces conclusions en intégrant non seulement les préférences gustatives et les influences culturelles – ici non prises en compte – mais aussi l'impact de variables contextuelles, telles que la nouveauté des stimuli ou les habitudes alimentaires. Par ailleurs, un échantillon plus large que les 72 participants de cette étude, ainsi qu’un environnement d’observation plus naturel que le cadre expérimental du laboratoire, permettraient une compréhension plus nuancée et réaliste des comportements alimentaires.
[1] En plus d’être non invasive, cette technique offre un cadre plus naturel pour les participants que d’autres techniques similaires (aucun bruit, une position debout ou assise confortable) et moins d’anomalies dans les données (artefacts) par rapport à l’électroencéphalogramme (EEG).
[2] Démarrant de la face inférieure du cerveau, ce sillon se dirige vers le haut et l'arrière sur chaque hémisphère cérébral.