Fêtes et plaisirs sucrés : des rituels qui rassemblent

Décembre 2021

Quelles que soient les cultures et les religions, d’un bout à l’autre de la planète, le goût sucré est universellement associé aux fêtes et célébrations, profanes ou religieuses. Le sucre est ainsi devenu un aliment chargé de valeurs symboliques, voire sacrées. Tour d’horizon des croyances et rituels sucrés.

Du château fort au « château doux »

« La consommation de sucre n’est pas uniquement une question de pur plaisir : elle ne peut être dissociée de sa valeur symbolique », affirme le chercheur Serge Bouchet, spécialiste de l’histoire médiévale, en évoquant la relation au sucre à travers les âges et les civilisations. Dès son apparition en Inde et au Moyen Orient, le sucre de canne est considéré dans ces régions comme un attribut du pouvoir, un signe de distinction et, surtout, un symbole festif. On sert des mets sucrés pour honorer ses invités ou célébrer un événement.

En Occident, le sucre est tout d’abord considéré comme une épice aux vertus médicinales. À partir de La Renaissance il devient, ici aussi, un plaisir réservé à la noblesse et aux élites, jusqu’au 19^e siècle où sa production se mondialise et ses usages se démocratisent. Aujourd’hui, on n’imagine plus une fête sans mets sucré. Pas de mariage ou de baptême sans dragées, de Noël sans bûche, de Pâques sans chocolat... Signe des temps, le sucre est passé, selon la formule de l’historien Jean-François Géraud, « du château fort au château doux ».

Il est vrai qu’au plan symbolique, le sucre est universellement associé à la douceur, à l'amour et à la vie. Chez les Peuls du Sahel, par exemple, le thé non sucré est amer « comme la mort » ; légèrement sucré, il est doux « comme la vie » ; fortement sucré, il est bon « comme l'amour ». En Europe, sous l’Ancien Régime, le sucre est volontiers associé au monde féminin, et les galants se concilient les bonnes grâces des dames à grand renfort de friandises aux noms évocateurs : « à vos charmes », « à la constance », « rose d'amour », « coque d'amour ».

Du sucré au sacré

C’est sans doute dans les rituels que s’exprime véritablement le potentiel de médiation du sucre. Du sucré au sacré, il y a un pas que bien des cultures n’hésitent pas à franchir. En Égypte, les contemporains de Ramsès III moulaient des poupées en sucre pour faire des offrandes. Au Mexique, le sucre est indissociable de la Fête des morts : des figurines macabres en sucre moulé servent à conjurer la mort sur un mode à la fois spirituel et humoristique. Il existe une tradition analogue en Sicile où, pendant La Toussaint, le sucre est investi du pouvoir d’adoucir le deuil et de le transformer en fête.

Pour les Chrétiens, Pâques est un symbole de vie nouvelle. Si l’ancienne tradition associe l’œuf à la Passion du Christ et les cloches à la Résurrection, le fameux œuf en sucre ou en chocolat, apporté par des cloches en chocolat, perpétue cette dimension religieuse tout en y associant des valeurs profanes : retour du Printemps, fertilité, partage et générosité qui favorisent la vie sociale... Les fêtes pascales sont aussi célébrées avec des pâtisseries à base de brioche, comme l'osterkranz allemand ou la pashka russe, décorées des lettres XB qui évoquent la résurrection du Christ.

Les desserts « cultes » du calendrier

Comme la brioche, certains desserts ont de fortes dimensions symboliques. On célèbre Noël avec des recettes traditionnelles agrémentées de fruits secs : le melomacarona en Grèce, le pain de Noël en Autriche et en Allemagne, le koutia en Pologne, le pudding en Angleterre ou les treize desserts en Provence. En Alsace, Allemagne, Belgique, Finlande ou à Chypre, ce sont des figurines en pain d'épices ou en pâtes levées qui sont prisées sous différentes formes. Tandis que les familles se régalent de desserts, lettres en chocolats ou brioches au Portugal, aux Pays-Bas et en Roumanie.

Au Japon, les biscuits kagami mochi sont des offrandes destinées à assurer bonheur et vitalité pour l'année à venir. Pour le Nouvel an, les Chinois boivent du thé aux graines de lotus ou au jujube sucré, ou mordent dans un ravioli contenant un sucre pour se souhaiter prospérité et bonheur. En Asie comme en Occident, on s'offre des boîtes de confiseries pour commencer l'année dans la douceur.

En Turquie, le Ramadan se clôture par une Fête du sucre qui dure trois jours. On y sert de multiples pâtisseries et des loukoums, dont la signification littérale est « morceaux de paix » ou « morceaux de contentement ». En Chine, le Festival de la lune s'accompagne de moon cakes en forme de lune pleine, fourrés de fèves rouges sucrées. Cette pâtisserie évoque la légende de la belle Chang Er qui s'est envolée sur la lune pour fuir un mari despote. Enfin en Iran, lors de la Fête de l'eau, le rite de purification consiste à se plonger dans l'eau et, avant tout échange de paroles, à manger un aliment sucré, symbole de douceur et de joie partagée.

Par la place privilégiée qu’ils occupent au cœur des représentations humaines, les plaisirs sucrés sont des marqueurs communautaires forts et pérennes. Incontournables invités du calendrier festif, ils remplissent une fonction fédératrice où ils incarnent le bonheur de se réunir pour partager.